France 3 – Après l’adoption d’une loi permettant la consultation, le diagnostic et la prescription des infirmiers, des débats subsistent
À l’unanimité, l’Assemblée nationale a voté la proposition de loi sur la refonte de la profession d’infirmier. Le texte reconnaît les compétences des professionnels de santé et élargi ses missions afin de lutter contre les déserts médicaux. Pour autant, il suscite quelques craintes chez certains médecins pendant que certains infirmiers regrettent qu’il n’aille pas assez loin.
« Cela faisait des années que la profession attendait ça ! » Bruno Delhomme, le président du Conseil régional de l’ordre des infirmiers de Nouvelle-Aquitaine, est plutôt satisfait. Dans la nuit du 10 au 11 mars 2025, la proposition de loi sur la refonte de la profession d’infirmier a été votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale. Elle vise à redéfinir et à élargir les missions des professionnels de santé. Le texte introduit notamment la consultation infirmière et l’autorisation de prescrire certains médicaments.
Une expérimentation de trois ans devrait aussi être menée sur la prise en charge de patients directement, sans ordonnance, mais à certaines conditions. « Je pense que c’est un texte important sur les pratiques infirmières qui contribue à la révolution de notre système de santé et qui répond aux besoins de nos territoires« , avance le député PS de Charente-Maritime, Olivier Falorni, co-auteur de la proposition de loi. Si celle-ci semble convaincre la classe politique, quelques réticences persistent chez les médecins. De leur côté, certains syndicats infirmiers saluent une ouverture tout en déplorant que le texte n’aille pas assez loin.
« L’objectif est de mettre en valeur nos infirmiers pour soulager nos médecins, expose Jean-Marie Fiévet, le député Ensemble Pour la République des Deux-Sèvres, également co-signataire du texte. On manque de médecins en France. Nous avons supprimé le numerus clausus, mais il y aura des effets seulement à partir de 2030. En faisant ça, on soulage les médecins. » Une mesure qui vise en particulier les déserts médicaux. « À l’inverse, il n’y a aucun désert infirmier« , assure le président du Conseil régional de l’ordre des infirmiers de Nouvelle-Aquitaine, Bruno Delhomme.
Pour les députés, s’appuyer sur « la première profession paramédicale en France« , avec environ 600 000 infirmières et infirmiers, semble tout naturel. « Les infirmiers ont un contact à la population très important et font les premiers gestes« , relève Jean-Marie Fiévet. Adoptée en première lecture à l’unanimité, 142 voix pour et 0 contre, la proposition de loi vient d’abord dépoussiérer les compétences de la profession qui n’avaient pas été révisées depuis 2004.
Car au fil des années, les missions déléguées aux infirmiers n’ont cessé d’augmenter dans les faits. « Aujourd’hui, on ne reconnaît pas nos compétences, mais on nous en demande toujours plus« , pointe Julien Pascreau, président de la section départementale de la Vienne du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil). Il rappelle que cette refonte de la profession est souhaitée « depuis huit ministres de la Santé !«
La véritable révolution se trouve dans l’introduction d’une consultation infirmière, le diagnostic et la possibilité de prescrire certains médicaments, fixés par un décret et révisés tous les trois ans. « Les infirmiers peuvent faire des diagnostics assez simples. S’il y a un vrai problème, ils orientent vers un médecin. Cela va dans le bon sens« , considère Jean-Marie Fiévet. « On tend vers un partage des rôles. On veut faire en sorte que le système soit plus souple« , ajoute Olivier Falorni.
Pour les infirmiers, la consultation relève du bon sens. « Pour les patients âgés, on se déplace, mais parfois, il faut une visite d’un médecin, qui arrive une semaine plus tard, avant de pouvoir faire quelque chose. Si ça s’aggrave, on est obligé d’envoyer le patient aux urgences, déjà engorgées et qui se retrouvent avec un patient qui n’aurait rien à faire là« , prend en exemple Julien Pascreau.
« On sait tous que dans les déserts médicaux, il y a énormément de mal à trouver un médecin. Cette coordination permet de gagner du temps« , abonde Bruno Delhomme. Mais du côté des médecins, quelques craintes se font sentir. « Il est impératif que le parcours de soin reste coordonné par le médecin, et qu’il ne perde pas en lisibilité« , exprime au Monde, le vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins.
Pourtant, selon les députés et les infirmiers interrogés, il ne s’agit pas de remplacer le rôle du médecin. « Il ne faut pas que ce soit au détriment des patients, mais je crois que toutes ces mesures permettent l’accès au soin à tous nos concitoyens, défend Olivier Falorni. Parfois, la sollicitation d’un médecin n’est pas forcément requise. » Selon le député de Charente-Maritime, il n’y aurait pas « non plus de levée de bouclier chez les médecins« .
Pour le président du Conseil de l’ordre des pharmaciens de Nouvelle-Aquitaine, Bruno Delhomme, il s’agit également d’une petite partie de praticiens réticents. « C’est bien dommageable que des médecins soient contre parce que ça leur fait gagner du temps, déplore-t-il. Ils sont dans une sorte de patriarcat médical alors que tout cela, c’est surtout pour le patient. » Contactés, les présidents du Conseil départemental de l’ordre des médecins n’ont, pour l’heure, pas répondu à nos sollicitations sur le sujet.
Selon l’infirmier libéral, Julien Pascreau, la mesure a tout d’une bonne idée, notamment pour les médecins eux-mêmes. « Historiquement, en France, le sachant, c’est le médecin. On travaille sous son joug. On leur en demande toujours un peu plus, donc nous, on se dit que c’est une bonne idée de les décharger. Mais les médecins ont peur de perdre l’information et le suivi du patient« , déclare-t-il. Le texte de loi, adopté sans l’avis de l’Académie de médecine, prévoit pourtant qu’un compte rendu soit délivré au médecin traitant et indiqué dans le dossier médical du patient.
Un échange d’informations essentiel pour qu’une autre disposition de la proposition de loi soit viable : l’accès direct. En expérimentation durant trois ans et sur cinq départements, la possibilité de prendre en charge les patients directement « pour des actes ne relevant pas de leur rôle propre« . « Nous sommes face à une population vieillissante, la hausse des maladies chroniques et des déserts médicaux. Cela va permettre de mieux orienter les patients et ne pas forcément attendre un médecin« , se satisfait Bruno Delhomme.
Mais cette expérimentation ne plaît pas à tout le monde. Dans la foulée du vote de la loi, le Sniil a publié un communiqué dénonçant une « humiliation pour la profession« . Le syndicat considère l’expérimentation « à la fois trop restreinte et trop longue« . « Une telle limitation ne fera que créer des biais et ralentir une nécessaire évolution de la profession, tout en maintenant une rigidité administrative qui ne répond pas aux enjeux sanitaires actuels« , dénonce le Sniil.
Son président de la section départementale de la Vienne, Julien Pascreau, est quant à lui agacé que les infirmiers libéraux soient exclus de cette expérimentation. « Pour moi, ça va faciliter l’exercice en milieu hospitalier, mais pour les libéraux, ça ne va pas changer grand-chose, considère-t-il. Prescrire du paracétamol, ça ne me fait pas vibrer. La consultation infirmière, c’est très bien, mais à quel tarif ?«
Il considère tout de même que la loi va dans le bon sens et ouvre la voie à certaines choses, sans pour autant que ce soit suffisant. Il craint des retards dans la mise en œuvre. « Rien est acté, rappelle Julien Pascreau. Depuis juin, nous avons le statut d’infirmier référent, mais pour autant aucun décret n’a été pris pour le définir.«
Une plus grande autonomie revendiquée également par l’ordre des infirmiers. « Il faudrait encore aller plus loin, mais on sait que c’est compliqué« , tempère Bruno Delhomme. Les députés, quant à eux, estiment avoir trouvé un juste milieu. « Un texte doit trouver un équilibre entre les uns et les autres, estime le parlementaire Olivier Falorni. On verra, si d’ici à quelques années, il faut aller plus loin, on ira plus loin.«
Mais une dernière question agite encore les débats : la rémunération. « Si nous décidons que ce texte élargit les compétences, il faut les rémunérer !« , a lancé le député LFI de Charente, René Pilato, lors de l’examen du texte. Un amendement a été adopté pour l’ouverture de négociations conventionnelle à l’automne prochain. Une mesure très attendue, car, si la profession a été revalorisée lors du Ségur de la Santé, celui-ci excluait les professionnels en libéral.
« Dans le libéral, ça n’a pas bougé depuis 2009, s’exclame Julien Pascreau. On a eu augmentation de 25 centimes par déplacement, ça revient seulement à 30 euros brut par mois et ça ne couvre pas l’augmentation des prix du carburant ! » Pour Olivier Falorni également, cette « reconnaissance des compétences doit s’accompagner d’une revalorisation« .
Si ces négociations sont une bonne chose, le président de la section départementale de la Vienne du Sniil, sait que la tendance est plutôt aux économies. « Si on ne revalorise pas les infirmiers libéraux, ils vont arrêter et cela va renforcer les déserts médicaux« , alerte-t-il, en rappelant que pour la première fois, le nombre d’infirmiers libéraux est en recul en France. Pour beaucoup, l’avancée que suscite la loi semble nécessaire, notamment pour les patients les plus vulnérables. Mais des débats subsistent. Ils seront certainement au cœur de l’examen du texte par le Sénat, espérés prochainement.
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