La Vie – Olivier Falorni, juge et partie pour la cause de l’euthanasie

La Convention citoyenne qui se tient ces jours-ci semble se prononcer en faveur de « l’aide active à mourir ». Et à l’Assemblée, le député de Charente-Maritime qui présidera le groupe d’études sur la fin de vie est également un ardent défenseur de l’euthanasie.

 

L’homme a fait une entrée fracassante sur la scène politique nationale il y a une dizaine d’années. En juin 2012, Olivier Falorni était un édile rochelais, inconnu du grand public, jusqu’à ce qu’il batte Ségolène Royal aux élections législatives dans la première circonscription de Charente-Maritime. Seul et sans étiquette, il s’était présenté à la députation contre l’avis du PS à qui il reprochait d’avoir parachuté l’ex-compagne de François Hollande, alors tout juste élu président de la République.

 

« Il l’a affrontée sans baisser le regard, remarque son ami Jean-Louis Touraine, ancien député, professeur de médecine et militant pro-euthanasie. À l’époque, “Ségo” avait le soutien des socialistes ; elle était auréolée de son haut score à la présidentielle de 2007. D’autres que lui auraient cherché un compromis. Il est allé jusqu’au bout. » Cela donne une idée de la ténacité, vantée par ses proches, de ce professeur d’histoire-géographie. L’ironie du sort, c’est aussi que, par rejet de la candidate socialiste qui rêvait à l’époque de la présidence de l’Assemblée nationale, Olivier Falorni a alors été élu… grâce au soutien d’une partie de la droite et de bon nombre de catholiques.

 

Regard bleu clair, sourire aux lèvres, Olivier Falorni nous fait face ce 1er février 2023, au restaurant de l’Assemblée nationale. Pendant 2 h 30, il remonte le fil de son combat pour une « aide active à mourir » (manière euphémique de dire « euthanasie ») et en particulier pour imposer un modèle inspiré de celui de la Belgique en France. Si, pendant plus d’une décennie, Jean-Louis Touraine a incarné cette bataille au Palais Bourbon (La Vie lui a consacré sa une en 2018, sous le titre « Monsieur Euthanasie »), multipliant les tentatives parlementaires et les tribunes médiatiques, le Rochelais prend désormais la relève. Depuis sa réélection en juin 2022, à un troisième mandat, il a déjà publié une tribune avec l’actrice Line Renaud, indéfectible soutien de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), dans le Journal du Dimanche en août 2022, et prit la présidence de la mission d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie, qui rendra son rapport au printemps.

 

Jean-Louis Touraine a quitté l’Assemblée et n’a plus de mandat national, mais il continue d’échanger toutes les semaines avec celui qui est devenu un ami. « Je pense qu’il est important que tu t’investisses au sein de Renaissance pour influer sur la position du parti concernant la fin de vie », l’a-t-il même encouragé, par texto, en janvier. Le médecin nous confie qu’il a œuvré pour convaincre Yaël Braun-Pivet, nouvelle présidente de la chambre basse, de recréer le groupe d’études sur la fin de vie dont il était président lors de la précédente législature. Et c’est désormais Olivier Falorni, membre du groupe parlementaire démocrates, Modem et indépendants, soutien de la majorité présidentielle, qui en a pris la tête, en plus de la mission d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti. Un règne sans partage sur ce sujet à l’Assemblée, qui fait grincer les dents des défenseurs des soins palliatifs.

 

Comme son prédécesseur, Olivier Falorni est aujourd’hui critiqué pour être juge et partie sur cette question qui clive et pour laquelle Emmanuel Macron a souhaité une convention citoyenne. En effet, comment rester impartial à la tête de la mission d’évaluation d’une loi sur la fin de vie quand on est soi-même ouvertement militant pro-euthanasie ? Il s’y est pourtant engagé devant le groupe Renaissance. « Il dit qu’il met de côté ses convictions pour nous auditionner, mais ce n’est pas possible », regrette Tugdual Derville, porte-parole d’Alliance Vita, auteur de Docteur, ai-je le droit de vivre encore un peu ? (Salvator). « Lors des auditions, reprend-il, notre présence est seulement tolérée, c’est une façon de dire : “On a vu tout le monde.” »

 

Un point de vue partagé par Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap) : « La position pro-euthanasie de monsieur Falorni rend difficile la confiance dans le processus à l’œuvre. » L’intéressé se défend de toute partialité et insiste, par texto, plusieurs heures après notre rencontre : « La mission que je préside est à distinguer de mon engagement sur l’aide active à mourir. Il s’agit d’évaluer l’application de la loi actuelle, non pas de la juger, encore moins de la changer. »

 

Les auditions ont commencé depuis le début de l’année, à un rythme soutenu, même si les bancs restent clairsemés (ses 19 membres participent aussi à la commission des Affaires sociales qui, au même moment, débat de la réforme des retraites.) « Si nous n’avions pas connaissance des prises de position antérieures d’Olivier Falorni, nous ne pourrions percevoir son point de vue personnel, assure Astrid Panosyan-Bouvet, députée de Paris (Renaissance), qui était présente lors de la toute première audition. Il s’est montré neutre et a distribué équitablement la parole. » Toutefois, Claire Fourcade s’étonne que la Sfap, la Société française d’anesthésie et de réanimation, et la Société française de gériatrie et de gérontologie n’aient eu que deux heures pour s’exprimer, soit autant que le président de l’ADMD et le Dr Denis Labayle, de l’association le Choix, tous deux pro-euthanasie.

 

Les représentants des gériatres, des réanimateurs et des médecins de soins palliatifs, tous confrontés quotidiennement à la fin de vie, affirment pourtant que le dispositif actuel est suffisant pour accompagner convenablement les malades. Olivier Falorni pourra-t-il, confronté à d’autres points de vue que le sien, changer d’avis ? « La mission que je préside a fait évoluer mon opinion sur la sédation profonde et continue, qui peut répondre à certaines situations, c’est l’intérêt de ces auditions, confie-t-il. Mais sur l’aide active à mourir, ma conviction reste forte. » Le « droit à une fin de vie libre et choisie », comme il a intitulé sa proposition de loi (PPL), déposée en octobre 2017, est chez lui une certitude ancrée de très longue date. « Olivier Falorni n’a pas le moindre doute, c’est ce qui me gêne dans sa démarche », souligne Jean Leonetti.

 

Il aura fallu, deux ans plus tôt, que cette PPL soit examinée dans une niche parlementaire. Le 8 avril 2021, le principe de « l’assistance médicalisée à mourir », est approuvé par 240 députés qui en votent le premier article. Mais l’examen du texte n’ira pas jusqu’au bout en raison de l’obstruction des 2 500 amendements déposés par cinq députés LR. Ce soir-là, dans l’Hémicycle, l’élu avait eu des mots aux allures de victoire : « Je peux dire ici et maintenant que nous avons gagné. » C’est une des raisons pour lesquelles ses détracteurs doutent aujourd’hui de sa neutralité. « Il y a beaucoup d’hypocrisie », insiste Jean Leonetti. « Je me confronte, j’écoute, je m’efforce à penser contre moi-même », rétorque Olivier Falorni. Mais quand même pas au point de faire machine arrière sur l’euthanasie.

 

Dès la campagne de 2011-2012 de François Hollande, dont il a été un fidèle partisan, il a œuvré pour inscrire dans le programme du candidat la promesse d’une « assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ». Membre de l’ADMD pendant une dizaine d’années, il a aussi puisé dans la philosophie politique des radicaux de gauche pour étayer sa pensée : la liberté de choisir sa mort fait partie de leur corpus idéologique. Héritier de Michel Crépeau, le charismatique député-maire de La Rochelle (mort en 1999), Olivier Falorni doit aussi beaucoup à son grand-père, Gino Falorni, grand joueur de basket-ball, qui a donné son nom à un complexe sportif de la ville. Cet immigré italien qui avait fui le fascisme était un instituteur dans la lignée des hussards noirs de la République. Son petit-fils le retrouvait, à la sortie des classes, et faisait ses devoirs avec lui. « Je suis devenu un bon élève grâce à lui, dit-il. Il m’a appris qu’on peut être libre en respectant les règles. »

 

La mort de sa mère a solidifié son combat pour une légalisation de l’aide active à mourir. Le jour de sa première victoire nationale, le 18 juin 2012, est aussi un triste anniversaire. Un an auparavant, jour pour jour, et « quasi à la même heure », précise-t-il, Ghyslaine Falorni décédait d’un cancer. « Je n’en peux plus, je veux partir », lui avait-elle murmuré, à bout. Les images sont encore vivaces dans sa mémoire : l’hospitalisation à domicile, le lit médicalisé installé dans la véranda pour que sa mère puisse profiter de son jardin en fleur. « Nous n’avions jamais parlé de la possibilité d’une loi, elle et moi, se souvient-il, mais son décès a privilégié ce combat dans mes engagements. »

 

Lors d’une séance de questions au gouvernement, le 17 décembre 2013, le jeune député s’adresse à Marisol Touraine, alors ministre de la Santé. Il entremêle, à la première personne, la douleur du fils éploré et son « devoir de législateur ». Après avoir évoqué « la souffrance absolue d’un être cher qui n’en peut plus de ne pas partir » et la nécessité d’une loi, il se rassoit. « J’ai ressenti une très grande émotion. En deux minutes, j’étais vidé comme après une heure de discours », se rappelle-t-il. En 2015, il vote l’amendement de Jean-Louis Touraine pour une assistance médicalisée à mourir dans la loi Claeys-Leonetti (amendement qui sera rejeté).

 

Le 29 novembre 2017, face à Agnès Buzyn, ministre de la Santé, il réitère : « Aurez-vous le courage de Simone Veil ? », établissant une analogie entre la lutte pour l’avortement et celle pour l’euthanasie. ll conquiert dès lors le soutien de nombreux élus réunis autour de Jean-Louis Touraine et qui communiquent au moyen d’une boucle sur la messagerie Telegram, dédiée au sujet. Mais l’euthanasie n’est pas son unique sujet de préoccupation.

 

À l’automne 2022, après le rapport de la Miviludes, il questionne Sonia Backès, secrétaire d’État chargée de la citoyenneté, sur le « séparatisme sectaire » et les « gourous ubérisés qui recrutent leurs victimes sur les réseaux sociaux » depuis la pandémie de Covid. Proche des idées du Printemps républicain, « c’est un défenseur acharné de la République, de la laïcité et de l’intégration dans notre société », vante Philippe Vigier, député Modem, qui l’a convaincu d’intégrer le groupe des démocrates. Olivier Falorni, auteur d’une PPL « relative au respect de l’animal en abattoir » et d’une autre « visant à permettre aux propriétaires décédés de reposer avec leurs animaux de compagnie » vient aussi d’être nommé vice-président du groupe d’études pour le bien-être animal.

 

D’une loi à son nom, le Rochelais attend-il gloire et reconnaissance ? « Je serais honoré mais, sur un combat pareil, il faut savoir mettre son ego de côté. » De toute façon, si l’euthanasie est légalisée, à l’issue de la convention citoyenne et des débats au Parlement, Jean-Louis Touraine l’a prévenu, « il faudra continuer à se battre » pour en vérifier l’application concrète sur le terrain.

 

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