Le Phare de Ré – Témoignage. « Je veux pouvoir choisir le moment de ma mort quand la maladie aura pris trop de place »

Atteint par la maladie de Charcot, Loïc Résibois a l’île de Ré chevillée au corps. C’est ici qu’il pourrait mettre fin à ses jours si la loi sur la fin de vie tardait à être promulguée ou était rejetée.

 

Le Phare de Ré : En juin, sur vos réseaux sociaux, vous avez publié une première vidéo dans laquelle vous évoquez votre maladie, la sclérose latérale amyotrophique (maladie de Charcot). Pourquoi ce message ?

Je sais comment tout cela va se terminer. Comme je le dis dans cette vidéo, j’ai 46 ans et je vais mourir. Car comme 6 000 à 7 000 personnes en France, je suis atteint de la maladie de Charcot, une maladie incurable qui entraîne une dégénérescence des neurones moteurs, qui conduit à une paralysie progressive de l’ensemble des muscules du corps, y compris les muscles respiratoires. Mais je ne veux pas finir comme un légume. Je veux pouvoir choisir le moment de ma mort, quand la maladie aura pris trop de place. Mon combat aujourd’hui, c’est de faire évoluer la loi sur la fin de vie. Par cette vidéo, faite sur un coup de tête, je voulais d’abord interpeller les décideurs publics. Les malades n’ont pas assez la parole.

 

Comment et quand la maladie est-elle apparue ?

Je suis entré dans la maladie de manière assez fortuite en 2019. Après mes matchs de tennis, au moment de boire un soda, j’avais un tremblement très léger dans la main gauche. En 2020, j’ai consulté un neurologue qui a vu que mes muscles étaient en souffrance. J’ai passé divers examens qui n’ont pas porté leurs fruits. Cette maladie, elle se détecte par élimination. En deux ans, mon état de santé s’est dégradé. Le diagnostic a été posé en septembre 2022. Je n’étais pas plus surpris que ça.

 

Durant ces deux années, vous n’avez donc pas pu suivre de traitements. C’est aussi un combat que vous menez.

C’est une double peine. En France, si vous êtes malades depuis plus de 18 mois, après l’apparition des premiers symptômes, vous ne pouvez bénéficier d’aucun traitement médical, même à titre expérimental ou à des fins compassionnelles, qui vous permettraient de ralentir la maladie et d’allonger une espérance de vie qui varie entre trois et cinq ans. Ce serait pourtant donner de l’espoir.

 

Elle n’est pas “prescrite” par les médecins, mais l’île de Ré est pour vous source d’apaisement, un havre de paix. Comme pourrait l’être un médicament ?

Cela fait 46 ans que je vais à l’île de Ré tous les ans. C’est une histoire familiale. Ce sont mes grands-parents, dans les Deux-Sèvres, qui ont découvert cet endroit, sur les conseils d’un ami coiffeur. L’île de Ré, j’y venais habituellement à chaque période de vacances. Depuis novembre 2022, j’y viens une fois par mois. C’est important pour moi de densifier les moments. J’ai ainsi l’impression de vivre plusieurs années en une… (sourire)

Qu’appréciez-vous plus particulièrement sur cette île ?

 

Ma relation avec l’île est très forte. J’y ai de nombreux amis. Par le passé, j’ai donné des cours de tennis à Ars, à La Couarde et aux Portes, où mes parents possèdent une maison de vacances, et moi deux petits logements dont j’ai hérité et que j’ai rénovés. Mais aujourd’hui, je ne peux plus y séjourner car ils ne sont plus adaptés à mon handicap.

J’adore le banc du Bûcheron, le marché de La Flotte, les balades sur la digue des Doreaux et celle qui mène à la cabane de la Patache. Les bains de mer me font du bien, comme les sorties à vélo. L’été dernier, j’ai fait deux tours de l’île à vélo électrique. Je les faisais autrefois en roller accompagné d’un copain à vélo. C’est une tradition à laquelle je tiens énormément. À la Toussaint, je suis tombé à plusieurs reprises. Je ne le souhaitais pas, mais j’ai dû me résoudre à demander un fauteuil roulant.

 

Quitter Amiens pour venir vous établir sur l’île de Ré, y avez-vous songé ?

Je suis marié (une union célébrée aux Portes, Ndlr) et père de deux filles âgées de 21 et 17 ans. Leur vie est à Amiens. Je vais vous faire une confidence. Il y a quelques années, alors que je travaillais encore en tant qu’agent territorial pour la Ville d’Amiens, j’ai vu un poste qui m’intéressait à la communauté de communes de l’île de Ré. Je me savais malade et par honnêteté, je n’ai pas postulé. C’est sûr, cette île va beaucoup me manquer… Si la loi tarde à être votée ou bien était rejetée, c’est ici, et nulle part ailleurs, que je mettrai fin à mes jours.

 

Récemment, vous avez déjeuné avec Olivier Falorni, un parlementaire pleinement mobilisé sur le sujet de la fin de vie. Racontez-moi cette rencontre.

Je lui ai proposé un rendez-vous en tant “qu’administré secondaire aux Portes”. C’était courant septembre. Nous avons échangé en visio. J’ai découvert un député très sincère, avec une grande humanité. Il m’a dit : « Quand vous revenez, vous m’appelez et on déjeune ensemble. » C’est ce que j’ai fait, et il a tenu sa promesse.

 

Dans vos prises de parole, vous êtes moins sympathique à l’endroit du président de la République. Comme avez-vous accueilli le report du projet de loi ?

Avec une immense déception. Alors qu’il s’était engagé à faire évoluer la loi et que les appels sont de plus en plus importants, Emmanuel Macron ne cesse de reporter la présentation au Conseil des ministres. J’entends un débat parlementaire au second semestre, une possible promulgation de la loi en 2025. Mais il n’y a plus de temps à perdre ! Un report de cinq ou six mois, c’est énorme quand votre espérance de vie ne dépasse pas cinq ans. Pendant ce temps-là, on assiste à des drames : suicides, euthanasies sauvages…

 

Vous dites que ce droit à l’aide active à mourir n’est pas qu’une question de soulagement pour le malade, mais avant tout de sérénité. Vous avez besoin d’être rassuré ?

Je ne veux pas mourir, juste profiter à fond des moments qu’il me reste à vivre. Savoir que je peux “organiser” mon décès quand ce sera trop dur, c’est avancer plus sereinement. Je suis Français et il n’est pas question pour moi de me rendre en Suisse ou en Belgique. Il ne faut pas oublier non plus que la fin de vie ne concerne pas que les personnes âgées. Prendre la parole me donne l’impression de ne pas que subir la maladie, mais d’en être un acteur. Tant que ma voix portera, au propre comme au figuré, je continuerai à l’utiliser.

 

Le projet de loi présenté en conseil des ministres

 

Confiant mais vigilant, Olivier Falorni attend beaucoup de la présentation en conseil des ministres du projet de loi sur la fin de vie. « Ce sera en décembre après un passage en Conseil d’État pour avis. C’est l’engagement que j’ai eu de la part du gouvernement », annonce le député, qui a fait de ce sujet sociétal l’un de ses chevaux de bataille. « Ce qui retarde le processus (le texte aurait dû être présenté avant l’été, Ndlr), c’est que l’arbitrage sur le texte par le président de la République n’a pas été encore fait », poursuit Olivier Falorni. L’arbitrage porte notamment sur les modalités d’une aide active à mourir (suicide assisté, euthanasie…).

 

Fin septembre aux Portes-en-Ré, le député a partagé un déjeuner avec Loïc Résibois (lire par ailleurs) et sa famille. « Nous avons parlé de la vie, de la mort. C’était chaleureux et amical, émouvant aussi. J’ai beaucoup d’admiration pour Loïc, pour l’énergie qu’il met à défendre cette cause. Ses prises de paroles ont le mérite d’être “cash” et ramènent un certain nombre de responsables politiques à la réalité de cette loi. Une loi que des malades n’ont pas le temps d’attendre éternellement. Leur vie est devenue est compte à rebours. Ce droit, c’est aussi une forme de remède contre l’angoisse. »

 

L’accès aux médicaments à titre précoce, pour lequel milite Loïc Résibois n’entre pas dans le champ du texte de loi. Olivier Falorni rappelle ses trois grands volets : le renforcement des droits des patients ; le développement des unités de soins palliatifs (21 départements n’en disposent pas à ce jour) ; et la création d’un nouveau droit, l’aide active à mourir ultime recours (qui ne concernera pas les mineurs).

 

L’examen du texte à l’Assemblée nationale, en première lecture, est prévu au premier trimestre 2024. Le Sénat l’étudiera au cours du second semestre promettant déjà « une bataille » dans l’hémicycle. Olivier Falorni s’accorde à penser que « le débat parlementaire ne sera pas pollué par des positions politiciennes » et « qu’aucun groupe ne donnera de consignes de votes. » Et d’ajouter : « Je pense même que des votes pourront surprendre. » Le député n’oublie pas de mentionner l’issue de la consultation citoyenne du mois d’avril (favorable à 76 % pour l’ouverture d’une aide active à mourir en France) ou encore les avis favorables du Comité d’éthique et de l’Académie nationale de médecine « pour une fin de vie digne et apaisée ».

 

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