Proposition de loi organique relative à l’évaluation climatique des lois

Le Parlement français, en adoptant la loi relative à l’énergie et au climat de 2019, a déclaré l’urgence climatique et réaffirmé l’objectif de neutralité carbone en 2050. La France s’inscrit dans un mouvement global, qui voit nombre de peuples prendre conscience de l’importance de l’enjeu.

 

Pourtant, la France ne s’est pas encore donné les moyens de piloter et mesurer efficacement l’impact des lois engagées dans cet objectif de neutralité carbone. Le plan de relance (« France Relance ») intègre 30 milliards d’euros dans le volet écologie sans comporter une évaluation précise des impacts climatiques et de la cohérence de ses dispositions avec l’objectif de neutralité carbone (évaluation déclinée dans les objectifs énergétiques nationaux définis à l’article L. 100‑4 du code de l’énergie, et traduits dans la stratégie nationale bas‑ carbone) comme l’a récemment souligné le Haut Conseil pour le Climat (HCC).

 

Il est indispensable d’intégrer cette nouvelle donnée majeure dans le processus de conception et de mise en œuvre des politiques publiques. Nous proposons que le législateur se dote d’outils pour intégrer cette préoccupation et pour piloter le plus finement son action dans le respect des Accords de Paris. Tant la Suède, le Danemark que la Grande‑Bretagne ont fait évoluer leurs processus de conception des lois pour inclure la dimension d’évaluation au regard du critère climatique.

Le Premier rapport du Haut Conseil pour le Climat (HCC) intitulé : « Agir en cohérence avec les ambitions » et publié le 26 juin 2019, pointe les insuffisances de la France sur le plan de l’action climatique, notamment en termes méthodologiques.

 

Sur saisine du Gouvernement, le Haut Conseil pour le Climat a publié un rapport spécifique à l’évaluation des lois, le 18 décembre 2019, intitulé « Évaluer les lois en cohérence avec les ambitions ». En résonance avec son premier rapport, le HCC pointe le manque de moyens que se donne la France dans son pilotage vers l’objectif de neutralité carbone. Seuls 3 % des articles de loi sont évalués sous l’angle environnemental. Le HCC recommande la mise en place d’un processus d’évaluation des lois par rapport à la Stratégie Nationale Bas Carbone lorsqu’elles sont au stade de projet (ex ante) et après leur adoption (ex post). Dans ce rapport, le HCC met par ailleurs en avant la nécessité de mobiliser les moyens humains et d’ingénieries indispensables à la bonne réalisation de ces évaluations.

 

Début 2020, plus de 40 députés du collectif « Accélérons la transition écologique et sociale » ont adressé dans une démarche transpartisane un courrier au Premier ministre demandant à ce que l’évaluation climatique des lois soit mise en place rapidement. « Nous, parlementaires engagés pour le climat, sommes déterminés à faire de l’objectif de neutralité carbone une boussole ».

 

La Convention Citoyenne pour le Climat a également accueilli dans ses objectifs une proposition similaire lorsqu’elle invite à « renforcer et centraliser l’évaluation et le suivi des politiques publiques en matière environnementale » (proposition C.6.2). La Convention pointe la nécessité de l’existence d’un organisme indépendant vis‑à‑vis de l’État et des influences extérieures et doté de moyens suffisants pour effectuer correctement l’évaluation en matière environnementale.

 

La présente proposition de loi s’inscrit également dans le mouvement initié par l’arrêt

« Grande Synthe » du Conseil d’État (19 novembre 2020) qui ordonne à l’État de justifier, dans un délai de trois mois, « que la trajectoire de réduction à horizon 2030 pourra être respectée ». La trajectoire de réduction de 40 % des gaz à effets de serre ne pourrait que mieux être analysée avec des outils tels que proposés dans ce texte de loi.

 

Notre proposition de loi a pour objectif de renforcer des outils d’aide à la décision au service du législateur, visant à intégrer le critère de l’impact climatique et l’objectif de neutralité climatique comme une référence transversale dans la production des normes. Le fait que les parlementaires votent désormais de façon quinquennale une Loi cadre sur le climat (article 1 bis‑A du projet de loi Énergie Climat) devrait faciliter l’appropriation de cet outil.

 

Enfin, notre ambition à long terme est bien de considérer les politiques publiques sous l’angle global des critères environnementaux et sociaux et non uniquement sous l’angle climatique. Par pragmatisme nous posons une première pierre à cet édifice qu’est l’évaluation environnementale. Elle méritera d’être complétée et enrichie d’années en années. En ce qui concerne l’action climatique, nous avons des références pour construire une évaluation solide : un objectif (neutralité carbone en 2050), une stratégie (la Stratégie Nationale Bas Carbone) ainsi que des indicateurs (programmation pluriannuelle de l’énergie, budgets carbone). L’évaluation des impacts climatiques pourra également s’appuyer sur les outils de modélisation et d’analyse technico‑économique mobilisés par l’administration publique dans l’élaboration des trajectoires de référence de la SNBC et de la PPE.

 

De nombreuses lois ont en effet des impacts climatiques significatifs, comme la Loi d’Orientation pour les Mobilités ‑ LOM ou encore la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous‑ EGALIM. Or, comme l’a signalé le HCC dans son rapport de 2019, ces impacts ne sont évalués ni ex ante, ni ex post. Petite révolution institutionnelle, l’étude d’impact accompagnant le projet de loi, a été prévue par la réforme constitutionnelle de 2008 pour permettre au législateur de légiférer en meilleure connaissance de cause et d’exercer plus efficacement sa fonction de contrôle. Cette proposition de loi se saisit de l’étude d’impact pour la rendre plus efficace. Ses auteurs recommandent au Gouvernement de se doter de moyens suffisants pour mener à bien cette mission d’évaluation.

 

L’article unique crée une étude d’impact climatique, dans la partie sur « l’évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales » des projets de lois. Cette étude d’impact climatique évalue les effets des dispositifs législatifs envisagés sur les trajectoires d’émission de gaz à effet de serre et leur compatibilité ou non avec la Stratégie Nationale Bas Carbone.

 

L’article étend également l’étude d’impact aux amendements du Parlement ou du Gouvernement à un projet ou une proposition de loi qui auraient un effet significatif au regard des analyses de l’étude d’impact.

 

L’article 83 du règlement de l’Assemblée nationale prévoit que l’étude d’impact soit mise à disposition par voie électronique, afin de recueillir toutes les observations qui peuvent être formulées. L’objectif de cet article est d’étendre cette disposition au Sénat et de rendre ce droit effectif en le faisant mieux connaître. Il est à ce jour invisible et inutilisé sur le site de l’Assemblée nationale. L’article renvoie la définition des modalités aux règlements de chaque assemblée : l’étude d’impact soumise à consultation du public sur le site des deux chambres du Parlement, pourraient par exemple faire l’objet d’une synthèse transmise par le rapporteur du texte aux députés.”

 

Cette proposition de loi organique est complétée par une proposition de loi ordinaire qui confie à l’autorité environnementale, accompagnée de l’avis du HCC, le mandat de vérifier le sérieux des évaluations ex ante et ex post au regard du climat. Elle prévoit également un rapport sur le dispositif d’irrecevabilité climatique. Cette proposition de loi organique est également complétée par une proposition de loi constitutionnelle qui lui donne un fondement constitutionnel, qui étend l’obligation de réaliser une étude d’impact ex ante aux propositions de loi et qui consacre dans la Constitution le rôle de contrôle de l’action du Gouvernement par le Parlement en matière environnementale.

 

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