Proposition de loi pour une pêche française prospère et durable
Dans Pêcheurs d’Islande, Pierre Loti raconte le pays de Paimpol, au temps des grandes campagnes de pêche à la morue, « ce pays marin, qui paraissait être sans arbres, tapissé d’ajoncs ras et semé de pierres ». Il y dépeint la vie de ces communautés littorales dont l’esprit et les traditions se sont forgés au contact permanent de la mer. L’écrivain et officier de marine illustre ainsi magnifiquement l’importance de la pêche pour l’identité et la vitalité de nos littoraux.
Avant de pratiquer la grande pêche en Islande, dès le milieu du XIXe siècle, les pêcheurs bretons l’avaient pratiquée pendant des siècles au large de Terre‑Neuve. La morue y était alors présente en abondance. Après la seconde guerre mondiale, elle fait l’objet d’une pêche intensive jusqu’à l’effondrement quasi complet de la ressource et la fermeture de la principale zone de pêche en 1992. La mauvaise gestion de la ressource halieutique aura donc eu raison tant de la bonne santé des écosystèmes marins que des communautés littorales qui en dépendaient fortement. Cet épisode malheureux nous rappelle, s’il en était besoin, que l’avenir de la pêche et des pêcheurs est étroitement lié à celui de l’océan.
Ce rappel doit amener la pêche française à opérer sa révolution, au bénéfice des pêcheurs, des territoires littoraux et des écosystèmes marins. Car si la politique commune de la pêche a produit des effets significatifs, en France et en Europe, en organisant la gestion de la ressource, force est de constater que l’organisation et le fonctionnement de la pêche française ne sont plus adaptés aux défis de notre époque, à savoir le renouvellement des générations de marins et la transition écologique. Deux impératifs pour préserver notre souveraineté alimentaire et favoriser la création de richesses et d’emplois locaux.
Depuis plusieurs années, les crises se succèdent et s’accentuent : le Brexit a laissé des traces et le prix du gazole ne cesse d’augmenter, tandis que la consommation des produits de la mer continue de diminuer, comme le nombre de navires en activité et que le pays reste très largement dépendant des importations. Les pêcheurs ont le sentiment de subir ces aléas économiques et les exigences nouvelles liées à la protection de la biodiversité et à la lutte contre le changement climatique. Il importe donc de travailler au rétablissement de la confiance avec cette grande partie de la profession qui s’estime insuffisamment écoutée et considérée, afin d’amorcer une transition sociale et écologique juste. Cela implique, en premier lieu, de réformer en profondeur la gouvernance de la filière pêche.
La gouvernance de la pêche française est critiquée pour sa complexité, son manque de transparence et de représentativité. Ces éléments ressortaient déjà de la consultation menée auprès des professionnels par Mme Annaïck Le Meur, députée du Finistère, dans le cadre d’une mission d’information, en 2019.
Une réforme de la gouvernance est donc attendue. Il convient, en particulier, d’assurer une juste représentation des entreprises de pêche artisanale, notamment de la petite pêche côtière, au sein du comité national des pêches et des comités régionaux et départementaux des pêches. La flotte française compte, en effet, une majorité de petits navires : 80 % de moins de 12 mètres, 15 % entre 12 et 24 mètres, 4 % entre 24 et 40 mètres, et moins de 1 % de plus de 40 mètres.
De même, la composition des conseils de ces comités ne reflète pas la place des femmes au sein de la filière pêche, en amont et en aval. Le conseil du comité national des pêches compte, aujourd’hui, moins de 10 % de femmes, alors qu’elles représentent un tiers des effectifs de la filière. Sans vouloir y établir la parité – moins de 2 % des pêcheurs embarqués étant des femmes – il est légitime de tendre vers une représentation plus équilibrée des femmes et des hommes de la pêche.
Par ailleurs, des limites devraient être posées à l’exercice simultané de mandats au sein des comités pêches, afin d’intéresser davantage de professionnels à l’organisation de leur secteur et favoriser le renouvellement des générations.
Ces évolutions redonneront de la vitalité démocratique à une filière pêche marquée par une faible participation aux élections professionnelles. En 2022, lors des dernières élections des comités des pêches, la participation globale stagnait à près de 20 %, avec de grandes disparités selon les régions (9 % en Pays de la Loire, 13 % en Bretagne, 36 % en Provence Alpes Côte d’Azur, par exemple).
L’organisation d’un dialogue permanent, ouvert et transparent entre les pêcheurs, les associations environnementales et les scientifiques est un autre enjeu que la gouvernance actuelle ne traite qu’insuffisamment. Tant du côté des pêcheurs que des associations environnementales, des voix s’élèvent pour regretter l’absence de dialogue entre des mondes qui parfois ne se comprennent plus ni ne se parlent. Ce manque est facteur de frustrations et de tensions, comme sur la problématique des captures accidentelles de cétacés dans le Golfe de Gascogne : le recours au juge administratif signe l’échec collectif de la concertation ; il nous empêche de penser les enjeux dans leur globalité et nous conduit à prendre trop vite des mesures incomplètes.
Des instances de concertation doivent donc être mis en place, afin de réduire les fractures et restaurer la confiance, avec l’objectif de concilier efficacement les enjeux de pêche et de préservation de la biodiversité marine. Il est, pour cela, proposé d’expérimenter une forme nouvelle de gouvernance, à l’échelle d’un territoire ou d’une pêcherie. Cette expérimentation, d’une durée de cinq ans, doit, non seulement, être ouverte à la profession dans sa grande diversité, mais également à l’ensemble des usagers de la mer et du littoral, afin d’organiser une gestion intégrée et concertée de la pêche. Dans le cadre du Grenelle de la Mer, il avait été décidé d’expérimenter une telle « approche écosystémique et concertée des pêches à travers la mise en place d’unités d’exploitation et de gestion concertées (UEGC) », sans que cela soit finalement suivi d’effet. La Catalogne offre, également, un exemple dont il convient de s’inspirer.
La répartition des quotas fait aussi l’objet de critiques, tant par les professionnels eux‑mêmes que les associations environnementales. L’Autorité de la concurrence a également pu juger ce système facteur d’inégalité intergénérationnelle et de risques concurrentiels.
Les critères pour l’attribution des autorisations de pêche sont au nombre de trois : l’antériorité des producteurs, les orientations du marché et les équilibres économiques (art. L. 921‑2 du code rural et de la pêche maritime). Le règlement de la Politique commune de la pêche stipule en outre que les États tiennent compte de critères sociaux et environnementaux dans le partage des quotas.
Alors que se pose avec acuité la question du renouvellement des générations de pêcheurs, la prévalence du critère d’antériorité est un frein à la création de nouvelles entreprises de pêche artisanale. En effet, les prix de vente des navires auxquels sont attachés d’importants droits de pêche les rendent inaccessibles aux jeunes pêcheurs. De même, les délais pour l’obtention de licence de pêche peuvent être assez longs pour les jeunes professionnels qui débutent. En outre, le critère d’antériorité nuit à la petite pêche côtière dans la répartition des quotas du fait d’une faible adhésion aux organisations de producteurs entre 2000 et 2003, période de référence pour le partage des sous‑quotas.
Une réforme des critères d’attribution de quotas devrait ainsi permettre de favoriser les « opérateurs qui pêchent de la manière la moins dommageable pour l’environnement et [qui] apportent le plus d’avantages à la société » comme souhaité à l’alinéa 33 du règlement européen relatif à la politique de la pêche et rendu possible par son article 17.
Le chalutage est une technique très consommatrice de carburant. On estime qu’il faut entre 1 et 2 litres de gazole pour pêcher 1 kilogramme de poissons. À l’inverse, les arts dormants (filet, ligne, casier) sont beaucoup moins consommateurs de carburant. Cette dépendance aux énergies fossiles fragilise la pêche en la soumettant, à court‑terme, aux aléas de la conjoncture internationale. À long‑terme, c’est la question même de son avenir qui peut être posée, alors que le prix du gazole continuera inexorablement d’augmenter.
Face aux envolées conjoncturelles du prix du gazole, l’État soutient la trésorerie des armements par l’octroi d’une aide « à la pompe », aujourd’hui de 20 centimes par litre de carburant dans la limite de 335 000 euros par entreprise et par an. Indispensable à court et moyen‑termes, cette solution seule n’est pas viable à plus long‑terme. La prolongation de ce dispositif, et son accentuation, se heurtent à l’exigence de maîtrise de la dépense publique et aux règles européennes en matière d’aides d’État. La pêche française a donc besoin de réformes profondes, structurelles pour prospérer et retrouver de la sérénité.
L’efficacité énergétique des navires de pêche fait l’objet d’importants travaux, souvent soutenus par la puissance publique. Ils portent, par exemple, sur la forme de la coque ou les systèmes de propulsion. La décarbonation de la flotte serait notamment réalisée par le déploiement de l’hydrogène vert. Or, si ces pistes méritent d’être poursuivies, les incertitudes inhérentes aux processus de recherche et développement doivent nous encourager à envisager d’autres solutions, moins coûteuses et immédiatement disponibles. Il s’agirait alors d’organiser la transition des flottes vers des techniques et des engins de pêche moins consommateurs de carburant par l’élaboration d’une stratégie nationale.
Compte tenu des contraintes économiques, les chalutiers sont déjà en régression et subissent de plein fouet les plans de sortie de flotte, autrement appelés « plans de casse des navires ». Si rien n’est fait cette évolution ira en s’accélérant en raison des contraintes économiques, mais aussi des impératifs de la décarbonation et des enjeux de restauration de la biodiversité. Mal anticipée, une telle évolution déstabiliserait toute la filière et mettrait à mal notre souveraineté alimentaire. A contrario, organiser la transition redonnerait aux pêcheurs la maîtrise de leur avenir. Cela leur permettrait d’anticiper collectivement les transitions pour ne plus les subir, pour transformer plutôt que casser, et pour progressivement construire des alternatives au chalut, notamment pour la pêche hauturière.
Par ailleurs, cette mesure contribuerait à l’avènement d’une pêche durable. En moyenne, les fonds marins de l’Hexagone voient passer les chalutiers plusieurs fois par an. Certaines zones sont travaillées plusieurs dizaines de fois par an, comme le Golfe de Gascogne pour la pêche à la langoustine. Or, les impacts du chalut de fond sur le milieu marin sont bien documentés. L’Ifremer a notamment réalisé une matrice mettant en rapport les types d’engins de pêche et les pressions sur le milieu. Il ressort de ce tableau que les chaluts de fond à panneaux et à perche génèrent le plus grand nombre de pressions sur les fonds marins. L’abrasion plus ou moins profonde, le remaniement des sédiments et leur mise en suspension peuvent causer d’importants dommages aux habitats – notamment aux herbiers et aux récifs coralliens – et aux peuplements benthiques – vers marins, mollusques, crustacés, échinodermes – qui sont à la base des chaînes trophiques et qui constituent une source essentielle de la productivité de l’océan.
À l’échelle européenne, 79 % des fonds marins côtiers sont considérés comme physiquement perturbés, principalement par le chalutage de fond.
A ces pressions, s’ajoute la libération du dioxyde de carbone présent dans les sédiments marins. La moitié du gaz à effet de serre ainsi libéré se dissoudrait dans l’eau sous forme gazeuse et contribuerait à l’acidification de l’océan et donc à la dégradation des habitats, l’autre moitié rejoindrait l’atmosphère en quelques années et contribuerait donc directement au changement climatique.
Le bilan socio‑économique des flottilles de pêche varie en fonction de la taille des navires et de leurs techniques de pêche. D’une manière générale, plus les navires sont grands, moins ils sont créateurs de richesses et d’emplois. Les navires côtiers, qu’ils utilisent la drague, le filet, la ligne ou le chalut, ont de meilleures performances socio‑économiques. Comme rappelé plus haut, la flotte française compte une majorité de petits navires. Aux Antilles, la pêche est exclusivement artisanale. En Guyane, la taille des navires ne dépasse pas 24 mètres. À la Réunion, leur taille moyenne est de 8,5 mètres.
Les navires de plus de 25 mètres sont rares à travailler à moins de 12 milles nautiques des côtes mais les pêcheurs côtiers en observent de plus en plus venir en‑deçà de cette limite pour pêcher. Par exemple, en Manche, l’activité de chalutiers pélagiques de plus de 80 mètres à l’intérieur des eaux territoriales n’est pas sans inquiéter les pêcheurs côtiers.
Les navires de grandes tailles sont aussi les plus consommateurs de carburant et donc les plus exposés à la progression croissante du prix du gazole. Pour cette raison, certaines organisations de pêche ont fait le choix de stopper l’acquisition de navires de plus de 25 mètres.
Il convient donc de conforter ce modèle de pêche que l’on peut appeler artisanale, riche en emplois, facteur de développement économique des territoires littoraux, en lui réservant l’accès aux eaux territoriales françaises, c’est‑à‑dire la bande côtière de 12 milles nautiques. Cette mesure, pour être efficace, devra s’appliquer à l’ensemble des navires, qu’ils soient sous pavillon français ou étranger.
Elle répondrait à la demande des comités régionaux des pêches de Normandie et des Hauts‑de‑France d’interdire les eaux territoriales aux senneurs de plus de 25 mètres. La senne démersale, aussi appelée « senne écossaise » ou « senne danoise », consiste à placer un filet à l’extrémité de deux câbles, pouvant couvrir des surfaces allant jusqu’à 3 kilomètres carrés. Cette technique, pratiquée par des navires pouvant mesurer jusqu’à 150 mètres, a de forts impacts sur les écosystèmes (faible sélectivité, captures de juvéniles, abrasion des fonds marins) et concurrence directement la pêche artisanale.
Les écosystèmes côtiers, y compris ceux des zones plus profondes, doivent faire l’objet d’une attention toute particulière. Ils sont fragiles en même temps qu’ils sont indispensables au renouvellement des ressources halieutiques et la fourniture de nombreux autres services écosystémiques dont nos sociétés dépendent. Certaines techniques de pêche y sont donc proscrites. C’est le cas du chalut à moins de 3 milles du rivage (article D. 922‑16 du code rural et de la pêche maritime). Cette précaution souffre, cependant, de nombreuses dérogations, y compris dans des espaces protégés au titre du code de l’environnement. Des dérogations décidées contre l’avis des scientifiques, notamment ceux de l’Ifremer. Des dérogations parfois très anciennes qui n’ont jamais fait l’objet de réévaluation, à l’image de celle de 1956 autorisant le chalutage autour des îles de Houat et d’Hoedic, pourtant classées depuis 2007 en zone Natura 2000.
Il apparaît donc opportun de conforter l’interdiction de principe en excluant la possibilité d’y déroger dans les espaces protégés.
La pêche française profitera aussi du développement des aires marines protégées (AMP). Leurs bénéfices ne sont pas uniquement écologiques mais aussi socio‑économiques. Plus le niveau de protection est élevé, plus ceux‑ci sont importants. A titre d’exemple, par effet de débordement, les poissons capturés aux abords d’une AMP intégralement protégée sont plus grands, plus nombreux et plus divers.
La France s’est fixée comme objectifs de couvrir 30 % de ses eaux par des AMP dont un tiers sous protection forte. L’UICN et la communauté scientifique parlent de protection « intégrale » et la Commission européenne de protection « stricte », c’est‑à‑dire, de zones dédiées à la restauration et la protection de la biodiversité selon une approche écosystémique, où le prélèvement des ressources naturelles et minérales est interdit.
La France a cependant fait le choix de ne pas retenir ces critères internationaux pour ne pas exclure par nature les activités humaines dont la pêche alors que la protection intégrale ne doit pas être perçue en opposition à la pêche, mais au contraire, comme un outil de gestion spatiale pour soutenir les activités de pêche sur le long‑terme. Le décret du 12 avril 2022 précise donc qu’une AMP sous protection forte est « une zone géographique dans laquelle les pressions engendrées par les activités humaines susceptibles de compromettre la conservation des enjeux écologiques sont absentes, évitées, supprimées ou fortement limitées, et ce de manière pérenne, grâce à la mise en œuvre d’une protection foncière ou d’une réglementation adaptée, associée à un contrôle effectif des activités concernées. » Ainsi rédigée, la définition d’une AMP forte française correspond au niveau le plus faible exigé pour justifier de l’appellation d’AMP selon les critères internationaux.
Aujourd’hui, 565 AMP couvrent 33 % de la zone économique exclusive française mais seuls 1,6 % sont en protection intégrale ou haute. Ainsi, 60 % de la Méditerranée française est déclarée en AMP pour 0,1 % en protection intégrale ou haute. De même, en Mer du Nord‑Manche‑Atlantique, 40 % de la ZEE est sous AMP pour 0,01 % en protection intégrale ou haute. Par ailleurs, la répartition des AMP peut demeurer inégale selon les zones de profondeur, accordant une priorité aux écosystèmes de surface (0‑30 mètres de profondeur), souvent au détriment des zones plus profondes (au‑delà de 30 mètres), alors même que les efforts de pêche y sont particulièrement importants.
L’objectif quantitatif de 10 % de protection forte ne doit pas nous faire préférer une définition qui ne respecterait pas les standards internationaux formalisés par la communauté scientifique internationale et les membres de l’UICN, dont la France fait partie. Seule une approche qualitative garantira une réelle protection des écosystèmes marins les plus fragiles.
Ces aires protégées fortes sont à construire pas à pas, dans le dialogue avec l’ensemble des parties prenantes et, en premier lieu, les pêcheurs.
Les exemples de la Réserve naturelle de Cerbère‑Banyuls, du Parc national de Port‑Cros et Porquerolles et du Parc naturel de la mer de Corail en Nouvelle Calédonie démontrent que, dans ces conditions, de tels projets peuvent réussir – y compris en Hexagone – et surtout qu’ils sont efficaces. Ces laboratoires, dans lesquels les pêcheurs sont force de propositions, doivent maintenant inspirer d’autres territoires.
En outre, il convient de consolider l’enseignement maritime public en France en lui donnant une base juridique d’ordre législatif et plus seulement réglementaire, comme c’est déjà le cas pour l’enseignement agricole. Cela permet de le soumettre de manière explicite aux principes généraux de l’éducation nationale (développement personnel des élèves, insertion professionnelle, laïcité, liberté de conscience, lutte contre le harcèlement, etc.) en le reconnaissant comme une composante du service public de l’éducation.
Consolider juridiquement l’enseignement maritime permet d’assurer la pérennité de ses établissements et d’en améliorer la visibilité et l’attractivité. Un impératif au regard du défi que constitue le renouvellement des générations de marins. Un défi similaire à celui auquel l’agriculture fait face : les pêcheurs peuvent prétendre à la retraite dès 55 ans et un tiers d’entre eux sont, aujourd’hui, âgés de 45 à 55 ans. La pyramide des âges est donc déséquilibrée, d’autant plus que le secteur peine à fidéliser ses salariés. Un effort particulier est nécessaire s’agissant de la pêche côtière qui regroupe la majorité des emplois du secteur.
À l’instar de ce que prévoit l’article 3 du projet de loi dit d’orientation agricole pour l’enseignement agricole public, cette reconnaissance législative permet d’acter le rôle majeur joué par le réseau de l’enseignement maritime public en faveur du renouvellement des générations de marins actifs, comme en matière de transition écologique.
Conforter la pêche française c’est aussi agir contre les pratiques commerciales déloyales qui trompent le consommateur et favorisent l’importation de produits de moindre qualité. L’exemple de la coquille Saint‑Jacques est, à ce titre, parfaitement éclairant. En effet, depuis 1996, les pétoncles peuvent être commercialisées sous l’appellation « Saint‑Jacques » dès lors qu’elles sont transformées, soit en noix surgelée soit en plat cuisiné, et à la condition que soit précisé sur l’emballage le nom scientifique de l’espèce en question. Cette dernière mention devant permettre au consommateur de distinguer la vraie Saint‑Jacques (pecten maximus) de la pétoncle (pecten novaezelandis, Argopecten irradians, Placopecten magellicanus, etc.).
Malgré les efforts de sensibilisation du grand public entrepris sur ce sujet tant par les pouvoirs publics que par la filière pêche, et la création de labels rouges valorisant la Saint‑Jacques de Normandie, force est de constater que la réglementation de 1996 ne garantit pas au consommateur une information claire et transparente. La confusion est d’autant plus grande lorsque des mentions telles que “à la normande” ou “fabriqué en Bretagne” sont ajoutées sur les emballages des plats transformés.
Il apparaît donc nécessaire de protéger les pêcheurs de vraies coquilles Saint‑Jacques d’une forme de concurrence déloyale, car les pétoncles commercialisées sous le nom “Saint‑Jacques” sont vendues à des prix bien inférieurs à ceux de la pecten maximus.
De même, il apparaît souhaitable de rendre obligatoire l’information du consommateur sur l’origine des produits de la mer servis dans la restauration, comme cela est déjà prévu pour les viandes. La loi pour l’économie bleue, du 20 juin 2016, n’en fait qu’une possibilité. Cela répondrait aux aspirations des consommateurs attentifs à la provenance des produits et soucieux de soutenir les filières locales pour des considérations écologiques et économiques. Les pêcheurs et les consommateurs bénéficieraient aussi d’une meilleure information sur les produits de la mer transformés car il existe un lien avéré entre certaines de leurs propriétés et leur origine.
De la même manière, il apparaît nécessaire de clarifier les dénominations commerciales des espèces d’élasmobranches pour permettre au consommateur de distinguer, au sein d’une même famille, les espèces dont l’état des stocks est préoccupant. En effet, selon WWF France, la difficulté d’identifier les espèces de raies et requins pouvait auparavant justifier les dénominations génériques telles que « saumonette » et « raie ». Cependant, de nombreuses démarches ont été mises en place par les structures professionnelles, les criées et les administrations depuis plusieurs années pour améliorer l’identification de ces espèces. Il est donc regrettable que les espèces de raies et requins puissent être commercialisées sous des dénominations génériques. Ces dernières participent au maintien d’une certaine confusion auprès des grossistes et consommateurs et conduisent au mélange d’espèces aux statuts biologiques et aux origines variées.
Il convient aussi de préserver les pêcheurs de la concurrence déloyale de produits importés issus de systèmes de production ne respectant pas les normes sanitaires et environnementales imposées par la réglementation européenne. Certaines formes d’aquaculture ont notamment de graves impacts sur les écosystèmes littoraux (rejets chimiques, échappement d’espèces, transmission de pathogènes et de parasites).
C’est notamment le cas de l’élevage de crevettes qui contribue à la déforestation des mangroves. Ces écosystèmes sont uniques et fragiles, ils jouent aussi un rôle important dans la captation du carbone. Ces 20 dernières années, 35 % des mangroves ont disparu, en partie, donc, à cause du développement de l’aquaculture. Ce phénomène est particulièrement prononcé en Asie (Birmanie, Indonésie, Malaisie, Philippines, Thaïlande, Vietnam, etc.) où se développe intensivement l’élevage de crevettes. En 2023, la France importait pour 761 millions d’euros de crevettes tropicales (+ 16 % par rapport à 2022). Pourtant, cette problématique est absente de la Stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée car celle‑ci ne prend pas en compte les produits issus de la pêche et de l’aquaculture. Il conviendrait de mettre en œuvre une Stratégie nationale de lutte contre l’importation de matières premières et de produits issus de l’aquaculture dont la production a contribué, directement ou indirectement, à la dégradation d’écosystèmes marins ou littoraux en dehors du territoire national.
Les crises traversées par le secteur de la pêche et de l’aquaculture ont renforcé le souhait des professionnels de donner une meilleure visibilité à leurs métiers et de les valoriser auprès des consommateurs.
Sur le modèle de l’agritourisme, la diversification du métier de pêcheur et d’aquaculteur par le développement d’activités liées au tourisme permettrait d’y apporter une réponse.
Le pescatourisme, notamment, consiste à embarquer des passagers à bord des navires de pêche afin de leur faire découvrir la pratique de ces métiers. La vente directe et l’ittitourisme comprennent des prestations basées sur la découverte et la dégustation des produits de la mer. Ces activités créent un lien véritable entre les professionnels de la mer et les consommateurs, tout en soutenant leurs revenus.
Il est donc proposé d’inclure ces activités dans la définition de la pêche et de l’aquaculture à l’article L. 911‑1 du code rural et de la pêche maritime, et de lever un frein à l’embarcation de passagers sur les navires de pêche.
La présente proposition de loi, construite avec des pêcheurs, des scientifiques et des associations environnementales, entend donc renouveler en profondeur la politique française des pêches, dans le respect de la politique commune des pêches. Par cohérence, ses objectifs, listés dans le code rural et de la pêche maritime, doivent être complétés afin d’expliciter l’ensemble des enjeux rencontrés par les filières (concurrence déloyale, équilibre des relations commerciales, renouvellement des générations, santé publique, transition énergétique, etc.), et réaffirmer la volonté de la puissance publique de les accompagner dans leur traitement. Le texte retranscrit donc dans le domaine de la pêche l’ambition portée dans le projet de loi d’orientation agricole.
Ainsi,
– l’article 1er vise à définir la politique de la pêche et des cultures marines au regard des enjeux économiques, sociaux et environnementaux de ces filières ;
– l’article 2 permet l’expérimentation d’une nouvelle forme de gouvernance de la pêche afin d’organiser, à l’échelle d’un territoire, une gestion intégrée et concertée de la pêche ;
– l’article 3 renforce la représentativité des organes de gouvernance de la pêche française ;
– l’article 4 garantit des conditions d’accès aux organisations de producteurs, des mesures de gestion des quotas objectives, transparentes et non discriminatoires et la juste représentation de la diversité des métiers au sein des conseils d’administration des organisateurs de producteurs ; et ajoute les critères de contribution à l’économie locale et de transition vers une pêche durable aux critères économiques et d’antériorité pour l’attribution des autorisations de pêche ;
– l’article 5 prévoit l’élaboration d’une stratégie nationale de transition des flottilles de pêche au chalut de fond vers des techniques moins dépendantes des fluctuations du prix des énergies fossiles ;
– l’article 6 interdit l’usage de navires de pêche supérieurs à 25 mètres à moins de 12 milles nautiques des côtes à compter du 1er janvier 2025 ; et renforce l’interdiction en vigueur de l’usage du chalut à moins de 3 milles des côtes pour une meilleure protection des écosystèmes sensibles ;
– l’article 7 aligne la définition française d’aire marine sous protection forte avec les normes mondiales de l’UICN et la définition de la protection stricte de la Commission européenne ;
– l’article 8 renforce l’information du consommateur en réservant la dénomination « saint‑jacques » à la seule espèce dont le nom est pecten maximus ; clarifie les dénominations commerciales des espèces de élasmobranches pour permettre au consommateur de distinguer, au sein d’une même famille, les espèces dont l’état des stocks est préoccupant ; rend obligatoire la mention de l’origine des produits de la mer proposés en restauration ainsi que la mention de l’origine pour les produits de la mer transformés ;
– l’article 9 établit une stratégie visant à mettre fin aux importations de produits issus de l’aquaculture contribuant à la dégradation des écosystèmes marins et littoraux ;
– l’article 10 élève la base juridique de l’enseignement maritime public au niveau législatif pour clarifier les principes auxquels il est soumis et consolider son réseau d’établissements ;
– l’article 11 ajoute à la définition de la pêche et de l’aquaculture l’exercice d’activités de diversification telles que le pescatourisme, la vente directe et l’ittitourisme ; et lève un frein à la diversification des activités et des revenus des pêcheurs ;
– l’article 12 permet d’octroyer la médaille d’honneur des marins aux marins disparus ou péris en mer sans condition de navigation ou de distinction ;
– l’article 13 gage la présente proposition de loi.
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