Proposition de loi sur la prise en charge intégrale des fauteuils roulants par l’assurance maladie

Presque 20 ans après la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, et près de 15 ans après la ratification de la convention des droits des personnes handicapées de l’ONU par la France, le droit à la vie autonome n’est toujours pas effectif dans notre pays. Pouvoir se déplacer librement n’est toujours pas une réalité pour les personnes handicapées, en particulier pour les personnes utilisatrices de fauteuils roulants. La liberté de circulation est protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme, et de fait cette liberté d’aller et venir, y compris sur des périmètres très limités, est toujours restreinte pour nombre de personnes handicapées.

 

Les fauteuils roulants, qu’ils soient manuels ou électriques, constituent des extensions des corps des personnes handicapées motrices. Ces aides techniques sont la condition sine qua non de la participation à la vie en société des personnes handicapées. Que ce soit pour rester dans une position statique ou pour se déplacer d’un point A à un point B quelle que soit la distance, une personne handicapée privée de cette aide ou disposant d’une aide inadaptée se retrouve privée, de fait, de toute citoyenneté.

 

Chaque corps et chaque déficience motrice étant singulier par essence, il est nécessaire qu’une réponse sur mesure soit apportée, sous peine d’engendrer des conséquences médicales préjudiciables et un coût ‑financier, administratif, psychologique, sanitaire- qui s’accentue davantage dès lors que les moyens à disposition pour accéder à un fauteuil roulant adapté sont insuffisants. En effet, depuis 2005, la Sécurité sociale ne prend en charge que très partiellement les coûts d’acquisition d’un fauteuil roulant, occasionnant un reste à charge important. Ces fauteuils, électriques ou manuels, peuvent ainsi proposer différentes fonctionnalités indispensables : élévateurs, verticalisateurs, dossier inclinable ou fixe, assise réduisant les frottements et les appuis conduisant aux déformations du corps, design léger, et d’autres modularités adaptées aux pathologies et usages des personnes. Toutefois, parce que nécessairement sur mesure et adaptés au handicap et à la morphologie de chacune et chacun, ces fauteuils ont un coût plus élevé que les fauteuils proposés habituellement à la location en pharmacie : entre 4 000 € et 10 000 € pour un fauteuil manuel configurable, et jusqu’à plus de 40 000 € pour un fauteuil électrique évolutif.

 

Si certaines mutuelles peuvent financer une faible partie des coûts, tou·te·s n’y ont pas accès et la hausse des cotisations annoncées cette année risque d’accentuer davantage les inégalités d’accès aux soins. La prestation de compensation du handicap (PCH) ne permet pas non plus la prise en charge intégrale des fauteuils roulants du fait de plafonds extrêmement limités et non révisés depuis 2005. Les fonds départementaux de compensation du handicap (FDC) ‑dont les conditions d’accès et les montants diffèrent selon les départements- peuvent éventuellement participer au financement. Mais ce n’est qu’à condition que les fonctionnalités recherchées fassent partie de la liste des produits et prestations de l’Assurance Maladie, dont la nomenclature qui fixe les tarifs maximums de remboursement des grandes familles de fauteuils roulants, n’a pas été actualisée depuis 2006. Surtout, la multiplicité des interlocuteurs et les délais de chacun d’eux font que le financement d’un fauteuil roulant et sa livraison prennent souvent a minima un an.

 

Le rapport « Des aides techniques pour l’autonomie des personnes handicapées ou âgées : une réforme structurelle indispensable » publié en octobre 2020 par le docteur Philippe Denormandie et Madame Cécile Chevalier, appuie ainsi ce constat : « ces délais longs ont un impact majeur pour les personnes ayant des maladies évolutives et les enfants ou adolescents, et pour toutes les personnes en cas de transition : retours à domicile après hospitalisation, changement d’établissement scolaire ou de logement […] La difficulté à faire face au reste à charge après les prises en charge légales peut entraîner la recherche de financements multiples, une autocensure dans le choix de l’aide technique ou des non‑recours. » Des personnes sont ainsi contraintes de recourir à un crédit ou lancer une cagnotte pour financer l’achat d’un fauteuil roulant adapté. Cette situation inacceptable et profondément indigne fait obstacle à l’accès à l’autonomie et à la mobilité pour les personnes utilisatrices de fauteuil roulant, et en particulier les plus précaires. Car, alors que la moitié des personnes handicapées ont un niveau de vie inférieur à 1 512 euros par mois et que les femmes handicapées sont encore plus touchées par la pauvreté, comment les personnes en fauteuil roulant peuvent‑elles financer un reste à charge allant parfois jusqu’à 20 000 € ?

 

Le 26 avril 2023, le président de la République faisait la promesse d’un remboursement intégral par l’Assurance maladie de tous les fauteuils roulants en 2024. Cependant, le projet de réforme actuellement en discussion va aggraver la situation, en laissant potentiellement de nombreuses personnes utilisatrices de fauteuils roulants sans aucune prise en charge de la part de l’État. Car si le gouvernement envisage une augmentation de la base de remboursement à 2 600 € pour les fauteuils manuels et 18 000 € pour les fauteuils électriques, un plafond du même montant serait envisagé. De fait, tous les modèles au‑dessus de ce montant, soit la plupart des fauteuils adaptés, seraient automatiquement exclus de la prise en charge.

 

Il est profondément intolérable que de nombreuses personnes handicapées soient contraintes de renoncer à changer ou à adapter le choix de leur fauteuil à cause du prix de celui‑ci. Avoir un fauteuil roulant adapté à ses besoins n’est pas une question de luxe mais de dignité et d’autonomie des personnes. Il ne s’agit pas non plus de « confort » car la question du bon ou du mauvais positionnement dans le fauteuil roulant a des impacts majeurs : une mauvaise assise dans son fauteuil roulant a des effets à moyen et à long terme sur les fonctions d’élimination, sur le fonctionnement de l’intestin, de l’estomac, sur les plans pulmonaires et cardiaques et peut créer ou aggraver des déformations. Outre la question des douleurs, il existe un risque important de développement des escarres. Et un fauteuil roulant inadapté peut contraindre à l’alitement faute de pouvoir bénéficier d’une assise adaptée, renforçant de fait les risques d’isolement social et de précarité.

 

Ces barrières financières inacceptables sont à l’image de la négation permanente des besoins et des droits des personnes handicapées par une société encore éminemment validiste. Nous devons sortir du parcours de combattant permanent pour que les personnes handicapées puissent vivre dignement au même titre que n’importe quel·le citoyen·ne. Cela implique nécessairement de sortir de la logique dévastatrice de contenance des dépenses d’assurance maladie qui se fait au mépris des droits essentiels des personnes en fauteuil roulant à la santé et à se déplacer librement. Malgré les alertes du Comité des droits des personnes handicapées des Nations Unies dans son rapport de 2021 sur les insuffisances et le paternalisme des politiques françaises en matière de handicap, ce retard considérable se creuse davantage, et ce, dans tous les domaines. Les personnes handicapées ne doivent plus être laissées en marge de la société. Or, la première possibilité d’accès à sa pleine citoyenneté est un droit à la mobilité du quotidien.

 

Cette proposition de loi entend ainsi répondre à une urgence, celle de garantir une prise en charge intégrale par la Sécurité sociale de tous les fauteuils roulants, quelles que soient les fonctionnalités requises, pour toutes et tous. La totalité des frais liés à l’acquisition d’un fauteuil roulant avec toutes les fonctionnalités nécessaires telles que prescrites par le médecin, ou sa réparation, sera ainsi remboursée intégralement par la Sécurité Sociale, sans reste à charge pour la personne assurée. Afin de mettre fin aux procédures complexes et inégales selon les territoires, la gestion de la prise en charge devient unifiée en ne passant que par un seul interlocuteur, la Sécurité Sociale. Cette simplification du mode de prise en charge s’inscrit dans la lignée des recommandations du rapport de Monsieur Denormandie et Madame Chevalier et du rapport sur l’évaluation de la prise en charge des aides techniques pour les personnes âgées dépendantes et les personnes handicapées de l’Inspection générale des affaires sociales, publié en avril 2013. Cette prise en charge intégrale s’opère par le biais d’une prescription détaillée des aides techniques nécessaires par les professionnels de santé, en prenant en compte les besoins de la personne.

 

Cette proposition de loi pose également la nécessaire révision de la nomenclature actuelle. À cet effet, la direction de la sécurité sociale lancera un travail de détermination des coûts de fabrication et de livraison des fauteuils ainsi que des marges des revendeurs afin d’assurer un juste prix. La révision de la nomenclature doit ainsi tenir compte, en premier lieu, des besoins des personnes utilisatrices de fauteuils roulants, des évolutions technologiques de ces dernières années et des besoins de prises en charge renforcée des prothèses sportives. Car, à quelques mois des Jeux Olympiques et Paralympiques, force est de constater qu’aucune initiative, malgré des annonces du président de la République en avril dernier, n’a été entreprise afin de lever les freins financiers considérables à la pratique du handisport. Alors qu’une prothèse sportive peut coûter plusieurs dizaines de milliers d’euros, le remboursement par l’Assurance Maladie des prothèses sportives de dernières générations est aujourd’hui quasi nul. 

 

Ce texte propose enfin de réhabiliter l’observatoire du marché et des prix des aides techniques, créé en 2007 mais mis à l’arrêt quelques années plus tard, afin de disposer de données précises sur la formation des prix des aides techniques et d’en réguler les coûts. Toutefois, si la prise en charge renforcée des fauteuils roulants doit s’accompagner d’une régulation des prix, cela ne peut se faire aux dépens d’un accès garanti à un fauteuil roulant adapté, contrairement à ce qu’il serait actuellement envisagé. Les personnes handicapées ne doivent pas être la variable d’ajustement de la régulation des tarifs de prise en charge. Le droit à l’autonomie pour toutes et tous ne sera jamais compatible avec des stratégies d’austérité budgétaire.

 

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