Proposition de loi visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille
Les époux, quel que soit leur régime matrimonial, et les partenaires de pacte civil de solidarité (PACS) forment un foyer fiscal et sont soumis au principe de solidarité fiscale. Ce devoir, découlant de ces deux types d’union que sont le mariage et le PACS, les oblige au paiement solidaire des dettes fiscales communes.
Dans le cadre du mariage, si les époux choisissent le régime de la communauté universelle, c’est même l’ensemble des biens possédés par les époux qui sont mis en commun, quelle que soit leur date d’acquisition, leur origine ou leur mode de financement.
Or en cas de dissolution du PACS, de divorce, voire de décès de l’un des conjoints, cette solidarité se transforme souvent en injustice et tend à léser l’un des ex-conjoints, et ses héritiers. C’est pourquoi, il appartient au législateur de garantir l’existence d’une forme de justice fiscale en cas de séparation, de divorce ou de décès, et ainsi préserver les intérêts des ex conjoints, et prévenir les conséquences induites par des atteintes à l’intégrité physique et, ou patrimoniale de chacun.
L’injustice et l’inégalité sont d’autant plus grandes que ce sont souvent les femmes qui sont lésées. En effet, en cas de séparation, une dette fiscale peut peser injustement sur l’un des ex conjoints et il s’agit à plus de 80 % de femmes, alors même que la séparation entraîne déjà pour une grande majorité d’entre elles, une perte sensible de revenus. Leur situation financière peut être encore plus dégradée par le paiement d’impositions sur des revenus dont elles n’avaient pas connaissance ou dont elles n’ont pas bénéficié.
La loi de finances pour 2008 a créé la décharge de solidarité fiscale, qui peut être accordée en cas de disproportion marquée entre le montant de la dette fiscale et, à la date de la demande, la situation financière et patrimoniale, nette de charges, du demandeur. Or cette condition est souvent difficile à remplir en raison de l’interprétation extensive de la loi et de l’application stricte et sévère de la jurisprudence faite par l’administration fiscale.
Si la loi de finances pour 2022 est venue assouplir une des conditions d’appréciation de la situation financière, en réduisant de dix à trois ans la période de paiement par les revenus nets de charge, les situations d’injustice face à une dette fiscale demeurent et continuent de peser lourdement sur les femmes.
Et force est de constater que l’éventualité d’une dette pesant sur l’ex‑conjoint est d’autant plus importante lorsque cette situation se double d’une absence d’indépendance financière. En effet, celle‑ci est également une des raisons qui poussent les femmes à rester dans le domicile conjugal alors qu’elles sont victimes de violences conjugales et intrafamiliales. Elles sont en effet les principales victimes de ces violences. En 2022, 118 femmes sont décédées des suites de violences conjugales contre 27 hommes. 81 % des victimes de ces homicides conjugaux étaient donc des femmes, tandis que 84 % des auteurs étaient des hommes. Selon l’étude nationale sur les morts violentes au sein du couple en 2022 réalisée par la Délégation aux victimes (DAV), en moyenne, un meurtre conjugal est enregistré tous les deux jours et demi.
Face à cette inquiétante réalité des violences conjugales et intrafamiliales, de nombreux mouvements associatifs ont contribué à alerter et mobiliser l’opinion publique. Le Grenelle sur les violences conjugales, lancé en 2019, a permis de développer un plan d’action pour lutter contre les violences conjugales, en améliorant la prévention, la protection des victimes et la sanction des agresseurs. D’autres textes réglementaires et législatifs ont continué de faire avancer le combat contre les violences conjugales et intrafamiliales sur de nombreux aspects allant de la prévention, à l’accompagnement des victimes et au renforcement du suivi des auteurs de violences conjugales.
Pourtant, des incohérences législatives demeurent en ce qui concerne les sanctions applicables aux auteurs de violences. C’est le cas du droit des régimes matrimoniaux qui régit, selon les termes de l’article 1527 du code civil « les avantages que l’un ou l’autre des époux peut retirer des clauses d’une communauté conventionnelle, ainsi que ceux qui peuvent résulter de la confusion du mobilier ou des dettes ». L’avantage matrimonial permet ainsi au conjoint survivant d’obtenir une partie du patrimoine du conjoint décédé.
En effet, le droit positif des régimes matrimoniaux ne reconnaît pas la notion « d’indignité successorale » pourtant stipulée dans les articles 726 et 727 du code civil qui permet d’exclure de la succession les personnes condamnées pour avoir « volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt ». Il est donc possible pour un époux ayant attenté à la vie de son conjoint de bénéficier légalement d’un avantage matrimonial. Cette situation devient particulièrement injuste et révoltante lorsque les époux ont choisi le régime de la communauté universelle avec attribution intégrale au survivant. Dans ce cas précis, l’application de l’avantage matrimonial tend à vider la succession de la personne décédée de toute substance et à léser ses héritiers.
La situation est d’autant plus inique pour les enfants issus du couple qui, contrairement aux enfants issus de précédentes unions, ne peuvent pas se prévaloir du bénéfice de l’action en retranchement qui permet de protéger les héritiers d’une privation de leur succession par l’avantage matrimonial.
Cette proposition de loi a donc pour objectif de mettre fin à ces injustices. Elle vise à préserver les intérêts des ex conjoints et des héritiers, en cas de divorce, de dissolution du PACS ou d’homicide conjugal. Elle a finalement vocation à éviter la double peine aux victimes et covictimes en préservant leur intégrité patrimoniale.
L’article 1er de cette proposition de loi permet d’étendre les cas d’ingratitude qui s’appliquent en cas de donation entre vifs (article 955 du Code civil) au droit des régimes matrimoniaux, afin d’empêcher la personne qui a commis un crime en tuant son conjoint d’hériter de ce dernier.
L’article 2 vise à encadrer l’appréciation de la situation patrimoniale du demandeur afin d’en exclure la résidence principale dont le demandeur est propriétaire ou titulaire d’un droit réel immobilier, les biens immobiliers détenus par le demandeur antérieurement à la date de son mariage ou de son PAC, ainsi que le patrimoine du demandeur reçu par donation ou succession, afin de limiter les situations où une dette fiscale pèse injustement et lourdement sur l’un des ex conjoints.
L’article 3 prévoit les dispositions relatives à la compensation de la charge pour l’État.
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