Proposition de loi visant à faciliter la transformation des bureaux en logements

Les chiffres de la construction pour l’année 2022 révèlent une importante baisse de la production de logements et augurent potentiellement de futures pénuries. En tout état de cause, depuis 30 ans, le taux d’effort immobilier des ménages n’a cessé d’augmenter, le phénomène du logement cher s’étendant peu à peu de Paris aux villes de province.

 

S’il n’existe pas de solution miracle, la crise actuelle du logement nous pousse au pragmatisme et augmenter le stock de logements disponibles est nécessaire. La facilitation des opérations de transformation de bureaux en logements réunit de nombreux avantages, notamment ceux de lutter contre la vacance des locaux, de favoriser la création de logements tout en respectant des objectifs de transition énergétique et en répondant aux objectifs de mixité sociale voulus par le code de l’urbanisme.

 

Or, comme ce type d’opération reste encore marginal, certains freins législatifs ont été identifiés, notamment en ce qui concerne les prises de décision au sein des copropriétés, les modifications des sous‑destinations du plan local d’urbanisme ou même encore la nature du permis de construire délivré. Cette proposition de loi vise à combler certains de ces manques et à simplifier le droit pour faciliter ces opérations de transformation, en agissant sur plusieurs problématiques.

 

Le développement du télétravail et des bureaux flexibles depuis la crise de la covid‑19 et dans les années à venir ouvre de nouvelles possibilités pour la fourniture d’habitations supplémentaires. Entre 2015 et 2019, seul 0,99 % de la superficie des nouveaux logements provenait d’anciens locaux à usage commercial. Alors que le télétravail hebdomadaire ne concernait que 3 % des salariés en 2019, la pandémie a fait bondir ce chiffre à 15 %, ainsi que le révèle une étude la Banque de France parue au mois de février 2023.

 

Depuis deux ans, le taux d’occupation des bureaux a ainsi diminué de 5,4 %, provoquant un ralentissement de la demande dans ce secteur. Saisir cette opportunité de l’augmentation de la vacance des bureaux pour les transformer en logements constitue une première piste pour répondre aux enjeux actuels du logement. De plus, il s’agit d’une bonne occasion pour atteindre les objectifs posés par la loi dite « Climat et résilience », de neutralisation de l’artificialisation des sols à horizon 2050 et de réduction de moitié de notre consommation foncière à moyen terme, en substituant des opérations de transformation aux opérations de construction, beaucoup plus énergivores.

 

Faciliter la modification du plan local d’urbanisme.

 

Les limites posées par le plan local d’urbanisme peuvent constituer une première difficulté. Afin de faciliter la création de logements en zone dite « tendue », par le biais de la transformation de bureaux en logements, il faut ainsi permettre à l’autorité compétente pour délivrer le permis de construire, généralement le maire, de déroger aux règles du plan local d’urbanisme pour autoriser la transformation de bureaux en logement ou hébergement dans les zones où la destination « habitation » (qui recouvre les sous‑destinations « logement » et « hébergement ») n’est pas autorisée.

 

Les conditions de desserte par les transports alternatifs à la voiture individuelle, l’exposition à d’éventuels risques et nuisances ainsi que les objectifs de mixité sociale et fonctionnelle doivent être pris en compte pour permettre cette dérogation. Ces conditions visent notamment à éviter la création de logements dans des zones inadaptées à cette destination.

 

Permettre l’assujettissement des opérations de transformation de bureaux en logements à la taxe d’aménagement.

 

Cependant, cette transformation de bureaux en logements, dès lors qu’elle serait facilitée par le plan local d’urbanisme, peut avoir une incidence en matière de taxe d’aménagement pour les communes. En effet, la taxe d’aménagement est due sur l’ensemble des opérations d’aménagement, de construction, de reconstruction ou d’agrandissement des bâtiments, installations ou aménagements de toute nature nécessitant une autorisation d’urbanisme.

 

La transformation de locaux commerciaux en locaux à usage d’habitation implique un changement de destination qui n’entre dans le champ d’application de la taxe d’aménagement qu’à la condition d’aboutir à une augmentation de la surface.

 

Lorsque la transformation ne donne lieu à aucune création de surface, l’absence de perception de taxe d’aménagement peut être préjudiciable aux communes accueillant de tels projets, dès lors que ladite transformation est susceptible d’induire des frais d’investissement dans des équipements collectifs pour la collectivité locale. En effet, la création de nouveaux logements induite par l’opération de transformation de bureaux en logements a pour conséquence la modification des besoins d’un quartier, notamment en termes d’écoles, de crèches, et autres infrastructures collectives que la commune doit mettre à disposition de ses administrés.

 

Créer un permis de construire « réversible ».

 

Agir sur le foncier bâti, en facilitant son changement de destination, constitue une première piste. Mais compte tenu des enjeux climatiques, énergétiques et environnementaux auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui, il paraît essentiel d’agir également à la source de la difficulté, à savoir directement sur la nature des permis de construire.

 

Les sociétés actuelles de promotion immobilière ont la capacité de construire de l’immobilier dit « réversible », c’est‑à‑dire dont la transformation d’un bureau vers un logement ou inversement, est anticipée et facilitée dès la construction. Sa définition juridique est donnée par l’article L. 111‑1, 5° du code de la construction et de l’habitation. Un bâtiment conçu et construit réversible pourra surmonter facilement l’obsolescence de son premier usage, et le risque de vacance qui l’accompagne. Aisément adaptable, il répondra mieux aux enjeux de mixité sociale et fonctionnelle édictés par le code de l’urbanisme. C’est dans ce contexte, et devant l’impérieuse nécessité de se prémunir contre une pénurie de logements, que la présente proposition de loi se donne pour objectif de fluidifier globalement le marché de l’immobilier, en facilitant la transformation des locaux commerciaux en logements, et en créant un régime de la construction réversible.

 

Pour favoriser l’adaptation des projets au contexte de la demande et la réversibilité des bâtiments, il est proposé de créer un permis de construire à destinations successives, inspiré par le permis à double état créé par la loi n° 2018‑202 du 26 mars 2018 sur les Jeux Olympiques de Paris de 2024, et d’en étendre son champ d’application.

 

Ce permis à destinations successives permet d’autoriser la réalisation d’une construction nouvelle présentant plusieurs destinations différentes au sens du code de l’urbanisme.

 

Délivrée à un instant unique, cette autorisation permet aux surfaces de ce bâtiment d’évoluer entre plusieurs destinations, à compter de sa délivrance, et ce même dans le cas où le document d’urbanisme applicable évoluerait ultérieurement et modifierait la liste des destinations autorisées.

 

Elle sécurise les aménageurs dans l’évolution de leurs constructions et facilite ainsi le montage de leurs projets. Elle permet ainsi une meilleure adaptation de la construction à l’évolution du temps en complétant l’étude de réversibilité et d’évolutivité rendue obligatoire avant le dépôt du permis de construire, pour certains bâtiments, par l’article 224 de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

 

Elle fait l’économie à l’autorité compétente d’une nouvelle instruction pour accorder le changement de destination de la construction qui avait été envisagé dès le commencement du projet.

 

Cet outil est mis à la disposition des collectivités qui, lorsqu’elles souhaitent s’en saisir, pourront l’instaurer sur tout ou partie de leur territoire.

 

Faciliter la création de logements étudiants.

 

Au cœur du sujet du logement, il y a celui spécifique du logement étudiant. Autre enjeu de notre politique du logement que la crise de la covid a mis en lumière, concordant avec celui de la précarité des étudiants : la difficulté des étudiants à se loger.

 

En décembre 2023, l’AFP avait recensé 240 000 logements sociaux étudiants, dont 175 000 gérés par les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS). En parallèle, le coût du logement pour un étudiant dans le parc privé a augmenté de 8 à 10 % en 2023 par rapport à 2022, selon le syndicat étudiant La Fage.

 

Ces données montrent que la problématique du logement étudiant est aussi au cœur de la crise actuelle du logement, et qu’il est impératif de l’intégrer lorsqu’on tente de répondre à la crise actuelle, afin que le manque d’investissement ne crée pas davantage d’inégalités.

 

Des annonces récentes du gouvernement ont promis la création de 35 000 logements à destination des étudiants, dont 11 200 dans les CROUS.

 

Cette ambition bienvenue se heurte néanmoins à la limite du foncier disponible. En l’occurrence, la transformation de bureaux en logements étudiants est une solution qui tient compte de cette limite, notamment parce que la configuration des immeubles tertiaires se prête très bien à la transformation en résidence étudiante.

 

De fait, et toujours dans l’optique de cette proposition de loi de faciliter cette transformation, il est proposé de permettre aux CROUS de recourir sans condition à la conception‑réalisation, comme cela est déjà le cas pour les organismes d’habitation à loyer modéré (HLM).

 

La loi n° 85‑704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée impose de dissocier la mission de maîtrise d’œuvre de celle de l’entrepreneur pour la réalisation des ouvrages publics. Cette loi permet cependant de déroger à cette règle pour la réalisation d’ouvrages particuliers, en associant l’entreprise et le concepteur dès les premières phases du projet : c’est la conception‑réalisation.

 

En d’autres termes, ouvrir cette dérogation aux CROUS permettra de faire gagner du temps et de réduire les délais pour la transformation de bureaux en logements étudiants.

 

Limiter les cas d’opposition à un changement d’usage dans les copropriétés.

 

Par ailleurs, et au‑delà de la création de nouvelles mesures facilitatrices, il faut également agir sur le droit existant pouvant engendrer certains blocages. C’est le cas par exemple au sein des copropriétés. Dans l’état actuel du droit, c’est l’unanimité qui s’applique lors d’une assemblée générale de copropriétaires en ce qui concerne le changement d’usage d’un lot. Ainsi, il suffit qu’un seul copropriétaire s’oppose au changement d’usage d’un lot pour que la démarche de modification soit bloquée. Cette disposition n’est pas concordante avec les objectifs de création de logements que nous devons remplir aujourd’hui.

 

Ainsi, la présente proposition de loi permet à un copropriétaire de changer l’usage de ses parties privatives, d’un usage tertiaire vers un usage d’habitation, sans que l’assemblée générale des copropriétaires ne puisse s’y opposer, y compris lorsque l’usage d’habitation des parties privatives n’est pas conforme à la destination de l’immeuble définie dans le règlement de copropriété.

 

Faciliter la modification de la répartition des charges résultant d’un changement d’usage dans une copropriété.

 

Afin de faciliter la modification de la répartition des charges spéciales de copropriété qui résulterait de ce changement d’usage, il faut assouplir la majorité de vote applicable à cette décision. Il est ainsi proposé qu’elle soit votée à la majorité des voix des copropriétaires présents, représentés ou qui ont voté par correspondance (majorité simple de l’article 24) et non plus à la majorité des voix de tous les copropriétaires (majorité absolue de l’article 25).

 

L’article 1er se destine à créer une dérogation décidée par l’autorité compétente en matière d’urbanisme pour autoriser, sous conditions, la transformation de bureaux en logements lorsque le plan local d’urbanisme ne le permet pas.

 

Les articles 2 et 3 visent à laisser la possibilité aux maires des communes sur lesquelles des opérations de transformation de bureaux en logements ont lieu, d’assujettir ces opérations à la taxe d’aménagement afin de prévenir tout préjudice induit sur les frais d’investissement dans des équipements collectifs, même lorsque ces opérations n’entraînent pas d’augmentation de la surface.

 

L’article 4 vient ajouter un nouvel article après l’article L. 431‑4 du code de l’urbanisme, afin de créer un permis de construire à destinations successives, qui serait délivré à un instant unique er permettrait aux surfaces d’un bâtiment d’évoluer entre plusieurs destinations.

 

L’article 5 ajoute à l’article L. 2171‑2 du code de la commande publique la faculté pour les CROUS de recourir sans condition à la conception‑réalisation.

 

L’article 6 a pour objet de modifier la loi n° 65‑557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis en permettant à un copropriétaire de changer l’usage de ses parties privatives, d’un usage tertiaire vers un usage d’habitation, sans que l’assemblée générale des copropriétaires ne puisse s’y opposer.

 

L’article 7 permet de faciliter la modification de la répartition des charges spéciales de copropriété qui résulterait d’un changement d’usage de bureau en logement, en assouplissant la majorité de vote imposée par la loi n° 65‑557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis.

 

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