Proposition de loi visant à instaurer une prévoyance collective obligatoire pour tous les salariés
Cette proposition de loi était initialement portée par ma collègue Mme Astrid Panosyan‑Bouvet lorsqu’elle était encore députée. Devenue ministre, c’est en pleine concertation que nous avons fait le choix de la redéposer, afin de lui donner une nouvelle chance d’être examinée. Ce geste témoigne de l’attachement profond et partagé que nous nourrissons, elle et moi, pour une prévoyance accessible à toutes et tous, véritable pilier d’une société plus protectrice et plus juste.
En effet, La prévoyance protège contre les aléas de l’existence les plus lourds : incapacité temporaire ou permanente de travailler, invalidité, décès. Autant d’événements soudains, souvent imprévisibles, dont les conséquences financières peuvent être dévastatrices pour les personnes concernées comme pour leurs proches. Pourtant, cette protection essentielle reste encore aujourd’hui largement méconnue, sous‑utilisée, et, plus encore, profondément inégalitaire.
Selon l’Observatoire de l’Imprévoyance, près de 20 millions d’actifs en France ([1]) – qu’ils soient salariés, fonctionnaires ou travailleurs indépendants – ne disposent pas d’une couverture prévoyance satisfaisante. Parmi eux, environ 6 millions sont totalement dépourvus de toute protection. Ce déficit de couverture touche particulièrement les populations les plus exposées : les métiers pénibles, faiblement rémunérés, marqués par une forte usure physique et psychologique. Ces travailleurs cumulent tous les risques : une probabilité plus élevée d’être frappés par un aléa de la vie, une capacité financière moindre pour faire face à ses conséquences, et un accès limité aux dispositifs de protection.
Le régime obligatoire, qu’il s’agisse de la Sécurité sociale ou des régimes publics, ne permet pas de faire face à ces situations. Les prestations versées en cas d’incapacité, d’invalidité ou de décès sont bien souvent insuffisantes pour maintenir un niveau de vie décent. Et pourtant, beaucoup surestiment encore ce que la solidarité nationale prend en charge. Ce décalage entre la perception et la réalité aggrave l’inaction et entretient un faux sentiment de sécurité.
Plusieurs facteurs structurels l’expliquent. Tout d’abord, en dehors des cadres du secteur privé, les employeurs ne sont pas tenus de proposer à leurs salariés une couverture prévoyance collective. L’adhésion repose donc sur la seule initiative individuelle, via des contrats facultatifs, souvent plus chers et moins accessibles, notamment pour les plus modestes. À cette inégalité d’accès s’ajoute une confusion fréquente entre prévoyance et complémentaire santé : cette dernière, rendue obligatoire pour tous les salariés depuis 2016, a fait ses preuves et a rencontré un franc succès. À l’inverse, la prévoyance reste obscure, mal expliquée, peu promue, et donc largement négligée.
Il est préoccupant que des millions d’actifs soient aujourd’hui laissés seuls face aux coups du sort, sans filet de sécurité adapté. Dans une société qui se veut juste, solidaire et inclusive, la protection contre les aléas de la vie ne peut rester un privilège ou un choix individuel. Elle doit progressivement devenir un droit universel et effectif. Cela suppose d’en faire un véritable enjeu de politique publique, à la hauteur des défis sociaux contemporains.
Il est donc essentiel que l’État, garant du pacte républicain et de l’égalité des citoyens, prenne ses responsabilités. La prévoyance ne doit plus être une option réservée à quelques‑uns, mais une composante fondamentale du socle de protection de chaque travailleur. C’est à la collectivité qu’il revient de construire un système cohérent et équitable, en complément du régime de solidarité nationale, pour garantir à chacun un niveau de vie décent en cas d’épreuve.
C’est dans cette optique que cette proposition de loi a été rédigée. Elle prévoit l’instauration d’une obligation pour tous les employeurs de proposer à leurs salariés, quels que soient leur statut, leur secteur d’activité ou la taille de leur entreprise, un contrat de prévoyance collective à adhésion obligatoire. Cette couverture serait financée au moins pour moitié par l’employeur, comme c’est déjà le cas pour la complémentaire santé. Ce modèle, éprouvé et accepté, offre une base solide pour bâtir un socle de prévoyance plus universel.
Cette réforme ne bénéficie pas qu’aux salariés. Elle représente également un levier stratégique pour les entreprises, notamment dans un contexte de fortes tensions sur le marché du travail. Offrir à ses salariés une protection complète contre les aléas de la vie est un marqueur de responsabilité sociale, un facteur d’attractivité pour la marque employeur, et un outil de fidélisation des talents. Dans un monde du travail en mutation, les entreprises qui prendront ce virage renforceront leur capacité à attirer et à retenir leurs collaborateurs.
Mais cette réforme va plus loin encore : elle participe à redonner du sens au travail, en reconnaissant qu’il peut générer de la pénibilité, des risques physiques ou psychologiques, mais aussi qu’il mérite en retour d’être protecteur. Protéger les travailleurs face aux conséquences des aléas de santé ou d’accidents liés à l’activité professionnelle, c’est reconnaître la valeur de leur engagement quotidien. C’est affirmer que la contribution de chacun à la société, parfois au prix de sa santé, doit être compensée par une solidarité organisée. Cette reconnaissance explicite renforce le contrat moral entre le salarié et son employeur, mais aussi entre le citoyen et la République : un travail qui peut user doit aussi garantir des droits, une protection et une sécurité pour soi et ses proches.
L’adaptation de cette future obligation au plus près des réalités professionnelles est également essentielle. Comme les risques couverts varient selon les métiers, les branches et les contextes d’exercice, les négociations devront s’organiser à l’échelle des branches professionnelles et des entreprises pour définir les garanties les plus pertinentes. C’est à ce niveau que pourront être intégrés des dispositifs différenciés, adaptés aux spécificités des métiers et à leur exposition aux risques.
Cette proposition de loi n’est qu’un premier jalon. Elle cible dans un premier temps les prés de 2 millions de salariés du secteur privé encore non couverts. Pour les agents de la fonction publique, l’ordonnance du 17 février 2021 a déjà ouvert la voie à l’instauration progressive, d’ici 2026, d’une prévoyance complémentaire, obligatoire ou facultative, dans les trois versants de la fonction publique (État, territoriale et hospitalière). Ce processus devra s’inscrire dans la même logique de justice et d’universalité.
Enfin, la question des travailleurs indépendants mérite une attention particulière. Leur nombre ne cesse de croître, porté par un désir croissant d’autonomie et par la dynamique de l’entrepreneuriat comme outil d’inclusion sociale. Pourtant, leur protection sociale reste morcelée, fragile, difficilement transférable d’un statut à l’autre. Il est temps d’ouvrir une réflexion structurelle sur la portabilité des droits sociaux, y compris des droits à la prévoyance, tout au long de la vie professionnelle, pour garantir à chacun, quel que soit son parcours, un socle minimal de sécurité.
Les deux premiers articles de cette proposition de loi fixent le cap : instaurer, pour tous les employeurs, l’obligation de proposer une couverture prévoyance collective à adhésion obligatoire à l’ensemble de leurs salariés. C’est une avancée majeure, qui redonne du sens à la solidarité et à l’engagement collectif dans la durée.
Face aux aléas de la vie, c’est l’ensemble de la société qui doit répondre présent. Car faire société, c’est veiller à ce que personne ne soit laissé au bord du chemin. C’est reconnaître que la vulnérabilité peut toucher chacun, à tout moment. Et c’est faire le choix d’une République protectrice, où la justice sociale ne se proclame pas seulement, mais se construit dans les faits, pour toutes et tous.
L’article 1er dispose que les organisations syndicales et patronales doivent engager avant le 1er juillet 2026 des négociations au niveau de chaque branche dans lesquelles les salariés ne bénéficient pas d’une prévoyance ou disposent de garanties insuffisantes en la matière afin de déterminer notamment le contenu et les niveaux des garanties de l’assurance, la répartition de la charge des cotisations entre l’employeur et le salarié ou encore les modalités de choix de l’assureur. L’article 1er prévoit également, entre 1er juillet 2026 et le 1er juillet 2027, dans les entreprises pourvues d’un ou plusieurs délégués syndicaux et non couvertes par une couverture collective en matière de prévoyance, une négociation visant à instaurer une telle couverture offrant des garanties conformes aux stipulations de la convention ou de l’accord de branche ou, à défaut, satisfaisant aux critères fixés par la loi.
L’article 2 introduit l’obligation pour les employeurs de proposer à leurs salariés une prévoyance complémentaire collective à adhésion obligatoire à compter du 1er juillet 2028 couvrant a minima les risques incapacité, invalidité et décès, dont le montant de la cotisation, fixé à un minimum de 1,5 % de la rémunération inférieure au plafond de la Sécurité sociale, est pris en charge pour moitié au moins par l’employeur. Un décret précisera les conditions dans lesquelles certains salariés pourront se dispenser de l’obligation de couverture.
Afin de lutter contre la méconnaissance de la prévoyance, l’article 3 vise à introduire l’obligation d’un droit à l’information sur cette couverture.
Suivant le principe de portabilité des droits, une personne licenciée peut bénéficier à titre gratuit des garanties de complémentaire santé et de prévoyance souscrites par l’entreprise dont elle a été licenciée jusqu’à 12 mois à compter de la date de cessation de son contrat de travail. Pourtant un récent arrêt de la Cour de cassation du 15 février 2024 précise que l’organisme assureur n’est pas obligé de prendre en charge les garanties d’un salarié licencié si l’assureur résilie son contrat avec son ancienne entreprise.
L’article 4 dispose ainsi que l’organisme assureur doit assurer le maintien des couvertures complémentaire santé et prévoyance pour les salariés licenciés même en cas de résiliation du contrat avec l’entreprise qui les employait.
Enfin, l’article 5 prévoit l’obligation pour les organismes d’assurance couvrant les risques d’incapacité, d’invalidité ou de décès d’informer toute personne qui souhaite dénoncer son contrat des conséquences de cette résiliation.
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