Proposition de loi visant à prendre des mesures d’urgence pour la santé mentale

« Le mal‑être, les dépressions et les pensées suicidaires ont beaucoup progressé chez nos jeunes. Je veux faire de la santé mentale de notre jeunesse une grande cause de notre action gouvernementale au travers, là aussi, de mesures claires et immédiates.

Tout d’abord, il s’agit de réformer le dispositif MonSoutienPsy. Il faut être lucide : il partait d’une bonne intention, mais n’a pas donné les résultats escomptés, il faut avoir le courage de le reconnaître même si c’est nous qui l’avons instauré. Je vous annonce donc que le dispositif va être rénové de fond en comble : nous allons augmenter le tarif de la consultation remboursée pour limiter au maximum le reste à charge pour les jeunes patients et leurs familles, et pour lever tous les verrous, nous permettrons aussi aux jeunes d’avoir accès directement à un psychologue sans nécessairement passer par un médecin.

De plus, nous allons mailler le territoire de maisons départementales des adolescents. Il y en a cinquante aujourd’hui : je souhaite qu’il y en ait une par département. »

 

Gabriel Attal, Premier ministre, lors de sa déclaration de politique générale prononcée à l’Assemblée nationale, 30 janvier 2024.

 

Les députées et députés signataires de la présente proposition de loi ne peuvent que partager le constat fait par M. le Premier ministre : 12,5 millions de Français sont atteints de maladies mentales, 1 jeune adulte sur 2 présente des signes de dépression. 6.000 personnes meurent par suicide par an ce qui représente la première cause de décès des 15‑29 ans.

 

Quant aux pathologies psychiatriques, elles sont la première cause d’affection longue durée (ALD) devant les cancers et la première cause de dépenses de santé avec des coûts directs qui représentent 25 milliards d’euros en 2023, soit le premier poste de dépense de l’assurance maladie. Pour la société, le coût global est évalué à 163 milliards d’euros en 2018 contre 109 milliards d’euros dont 13 de coûts directs en 2007.

 

L’état de santé mentale des jeunes est, lui, particulièrement inquiétant : selon les dernières données disponibles, 7 % des 18‑24 ans ont eu des pensées suicidaires en 2021 (soit un doublement en 7 ans), 1,1 % ont fait une tentative de suicide au cours de l’année écoulée, 9 % ont fait une tentative de suicide au cours de leur vie.

 

Par ailleurs, le nombre de passages annuels au moins une fois en court séjour à la suite d’une tentative de suicide ou d’actes d’automutilation a été multiplié par deux pour la classe d’âge des 10 à 14 ans et connaît une progression à deux chiffres dans d’autres classes d’âge (15‑20 ans par exemple).

 

Enfin, on estime plus largement qu’entre deux et trois millions de jeunes Françaises et Français de moins de 19 ans souffrent de troubles de santé mentale.

 

Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques, une personne sur trois a été, est ou sera atteinte par une maladie mentale. Il s’agit de la première cause mondiale de handicap acquis selon l’Organisation mondiale de la santé, soit 20 ans de réduction d’espérance de vie, la première cause d’années de vie perdues et, selon l’OCDE, « coûte » plus de 4 % du produit intérieur brut. Les deux tiers de ces coûts sont attribués à la perte de productivité du travail.

 

Notre modèle de psychiatrie publique connaît par ailleurs une grave crise.

 

À ce jour, le modèle français de la psychiatrie publique est organisé en secteurs géo‑démographiques d’environ 70 000 habitants proposant une offre de soins intra et extrahospitaliers. Le critère d’orientation diagnostic et thérapeutique est fondé sur un critère géographique permettant un maillage territorial fin et une prise en charge de proximité pour des patients alternant des phases chroniques ou aigus. Cependant, l’accès tardif aux soins ne garantit pas une prévention satisfaisante ni une prise en charge spécialisée par pathologie.

 

De surcroît, la spécialité psychiatrique connaît une baisse d’attractivité. Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), le nombre de médecins en psychiatrie n’a cessé de décroître et est passé de 14 272 à 13 344 entre 2016 et 2023. L’âge moyen des psychiatres libéraux et salariés était de 52 ans en janvier 2021 et 62 ans pour les pédopsychiatres.

 

En 2007, à la suite d’un appel à projet du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, un dispositif identifié comme un « Réseau Thématique de Recherche et de Soins » a été créé, coordonné par une fondation de coopération scientifique dédiée. Ce dispositif est composé de quatre réseaux spécifiques de Centre de recours dits « Centres experts », consacrés aux pathologies psychiatriques les plus sévères et les plus invalidantes comme la schizophrénie, les troubles bipolaires, la dépression résistante et les troubles du spectre autistique. Ce système spécialisé par pathologie est complémentaire de la psychiatrie de secteur, apportant une réponse graduée et spécifique pour la prise en charge des patients. Cette réponse est intégrée dans le parcours de soin du patient.

 

Ces centres experts en psychiatrie contribuent à une prise en charge globale et plurielle des troubles bipolaires, de la schizophrénie, du trouble du spectre autistique sans retard intellectuel et des dépressions résistantes.

 

Il en existe aujourd’hui 53. Ils proposent un service complétant l’offre de soins généraliste sectorisée et fournissent aux professionnels de santé adressant les patients, un avis expert et des recommandations adaptées à chaque patient. Ayant vocation à contribuer à l’amélioration du diagnostic, le diagnostic et la prise en charge des maladies psychiatriques les plus sévères, ils ont déjà permis l’évaluation de plus de 20 000 patients.

 

En outre, ces réseaux constituent une infrastructure de recherche clinique. Les différents projets de recherche ont contribué à permettre à la France d’atteindre la troisième place en matière de recherche sur les troubles bipolaires.

 

Cette approche, associant évaluation clinique spécifique et recommandations de prise en charge basées sur les données de la recherche clinique, a un intérêt sur l’évolution des patients : douze mois après une évaluation en centre expert une amélioration du pronostic et une réduction de 50 % des journées d’hospitalisation sont constatées.

 

Les centres experts sont aujourd’hui victime de leur succès. L’afflux des patients est en hausse. Le délai moyen pour obtenir un rendez‑vous de bilan peut aller jusqu’à deux ans. La demande de labellisation de nouveaux centres experts sur le territoire nationale est croissante. Ces centres sont aussi confrontés à des demandes d’extension à d’autres pathologies comme les conduites suicidaires, les troubles obsessionnels compulsifs, l’hyperactivité avec déficit d’attention ou les troubles du comportement alimentaire.

 

Cette offre de recours spécialisée n’est en aucun cas concurrente mais se doit d’être complémentaire, intégrée et articulée avec le maillage de secteur et tous les professionnels de proximité.

 

Devant l’ensemble de ces défis posés à notre système de santé mentale, plusieurs mesures d’urgence sont à prendre en parallèle de celles annoncées par le Premier ministre : ouvrir davantage de postes en psychiatrie, revaloriser les professionnels de la santé mentale, en former et en recruter davantage, organiser une réponse à l’éco‑anxiété croissante chez les jeunes générations, etc.

 

Outre ces mesures qui ne nécessitent pas l’adoption de dispositions législatives, les députées et députés se mobilisent.

 

Ainsi, les députés socialistes et apparentés ont publié une note « Santé mentale : dix grandes mesures pour une grande cause nationale » parue à la Fondation Jean Jaurès.

 

Quant aux députés de la majorité, ils travaillent sur une proposition de résolution visant à faire de la santé mentale une grande cause nationale 2025.

 

Face à l’urgence à agir, notamment pour les plus jeunes d’entre nous, il est désormais nécessaire d’avancer de manière transpartisane entre députés de la majorité et députés de l’opposition.

 

La présente proposition de loi ne prétend pas régler tous les sujets mais d’avancer sur des briques de nature législative afin de renforcer l’accessibilité des soins de premiers recours et de compléter l’offre psychiatrique de secteur.

 

Telle est l’ambition de la présente proposition de loi, rédigée par des députés membres du groupe Renaissance et des députés socialistes et apparentés, cosignée par des députés de tout bord, hors Rassemblement national.

 

Pour prendre connaissance du dossier législatif