Proposition de loi visant à promouvoir la bientraitance des personnes en situation de vulnérabilité

La crise sanitaire liée à l’épidémie de covid‑19, que nous traversons maintenant depuis plus d’un an, a impacté la vie de chacun et a touché notre société au cœur. Elle a mis en lumière les situations de vulnérabilité dans lesquelles se trouvent certaines personnes, malades, âgées, handicapées ou majeurs protégés. Cette période a également renforcé l’isolement et les phénomènes de maltraitance dont ces personnes sont victimes, à domicile ou en établissement. Ce sont autant de réalités que nous devons aujourd’hui regarder en face pour agir.

 

Avec l’accélération du vieillissement de la population, ces situations de fragilité vont se développer. Selon l’INSEE, le nombre de personnes âgées en situation de perte d’autonomie pourrait augmenter de 22 % entre 2017 et 2030 et de 41 % entre 2030 et 2050). Ces personnes auront besoin d’être soignées, aidées et accompagnées, par des professionnels et par leurs proches avec qui ils entretiennent des liens intimes et de confiance. Dans ce contexte, des situations de maltraitances peuvent potentiellement survenir. Il ne s’agit pas forcément d’actes individuels, conscients et volontaires. La maltraitance s’installe parfois faute de compréhension de l’autre et des difficultés que sa privation d’autonomie entraîne. Elle peut être le résultat d’un manque de formation ou de négligences, qui s’exercent en établissement ou à domicile et qui conduisent à des blessures physiques ou psychologiques.

 

Les maltraitances sont des phénomènes complexes et multiformes, qui recouvrent des expériences vécues très différentes et sur lesquelles il est souvent difficile de poser des mots. La Commission pour la promotion de la bientraitance et la lutte contre la maltraitance, instance conjointe du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) et du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) a débuté un vaste travail de concertation et d’analyse sur ce sujet en 2018.

 

La démarche de consensus que la Commission a entrepris, avec l’appui méthodologique de la Haute Autorité de santé, a d’ores et déjà permis d’aboutir à la création d’un vocabulaire partagé, précis et opérationnel pour tous les acteurs. La maltraitance d’une personne en situation de vulnérabilité intervient « lorsqu’un geste, une parole, une action ou un défaut d’action, compromet ou porte atteinte à son développement, à ses droits, à ses besoins fondamentaux, et/ou à sa santé et que cette atteinte intervient dans une relation de confiance, de dépendance, de soin ou d’accompagnement  ».

 

De cette analyse émergent quatre « modes‑type » de maltraitance qui appellent des réponses différentes. Le premier est l’acte individuel et conscient qui mérite d’être identifié en tant que tel et qui appelle des mesures de sanction, protectrices et réparatrices. Le deuxième est l’acte individuel involontaire qui peut être dû à un manque de formation. L’auteur doit en prendre conscience et être accompagné pour modifier son comportement. Le troisième décrit une situation de maltraitance collective et consciente qui résulte le plus souvent d’une carence grave de l’organisation et d’un dysfonctionnement collectif. Il convient d’y répondre par une mise à niveau des organisations tant quantitative que qualitative. Enfin, le quatrième type de maltraitance correspond à une situation collective et non consciente qui échappe au regard de tous. Il s’agit d’une maltraitance institutionnelle et systémique, qui est le reflet d’un manque de discernement collectif et de la nécessité d’une réflexion éthique sur l’accompagnement des personnes.

 

La « maltraitance institutionnelle » est représentative de la complexité des phénomènes de maltraitance, car elle repose sur une articulation entre des responsabilités individuelle et collective. On parle de maltraitance institutionnelle « lorsque des situations de maltraitance résultent, au moins en partie, de pratiques managériales, de l’organisation et/ou du mode de gestion d’une institution, d’un organisme gestionnaire, voire de restrictions ou dysfonctionnements au niveau des autorités de tutelle sur un territoire ». Elle peut donc s’exercer à l’échelle d’un établissement, d’un groupe d’établissements ou même d’une collectivité territoriale. Il s’agit d’un dysfonctionnement collectif qui peut échapper au regard du groupe, et qui nécessite un travail de réflexion éthique de tous les acteurs pour changer les systèmes d’organisation et les comportements du quotidien.

 

Pour faire face à l’ampleur de ces défis, la Commission présidée par Alice Casagrande a pris le parti d’une approche transversale à tous les publics, quel que soit l’âge, l’état de santé, la situation familiale et sociale, afin de prendre en compte toutes les vulnérabilités et la diversité des parcours de vie. Cette proposition de loi s’inscrit dans cette démarche inclusive et a été élaborée sur la base de cette expertise. Elle porte la conviction que les problématiques partagées peuvent susciter une mobilisation à toutes les échelles, capable de faire converger tous les acteurs vers des objectifs communs : mieux comprendre les maltraitances, y réagir collectivement, et prévenir leur survenance.

 

Mieux identifier les phénomènes de maltraitance nécessite d’abord de poser des mots sur les maux, grâce au vocabulaire partagé établi par la Commission nationale pour la promotion de la bientraitance et la lutte contre la maltraitance. Les mandataires judiciaires peuvent aussi s’impliquer dans cette démarche par le respect d’un code éthique et déontologique. Un système efficace de remontée des informations permettra de mieux identifier ces violences, de l’échelon territorial à la consolidation de données fiables sur l’ampleur et les formes des phénomènes de maltraitance. C’est indispensable pour mieux évaluer les situations et les traiter à temps, grâce à une coordination des acteurs concernés.

 

Réagir collectivement face aux maltraitances est un défi, car il est parfois difficile pour la personne victime de prendre conscience des maltraitances qu’elle subit et de trouver la force et le moyen d’en témoigner. Il faut donc encourager les établissements et les services à être à l’écoute des personnes accompagnées et de leurs proches, à analyser les dysfonctionnements organisationnels et à mettre en œuvre de bonnes pratiques. Il est aussi nécessaire de prévoir le contrôle des antécédents judiciaires des professionnels en amont, et de renforcer le rôle des professionnels et des mandataires judiciaires à la protection des majeurs dans le signalement des maltraitances.

 

Prévenir les maltraitances, c’est la clé pour construire une société de la bientraitance. Il faut former les professionnels et sensibiliser les proches à mieux accompagner une personne en situation de vulnérabilité, et développer ensemble une exigence éthique et morale au bénéfice de tous. Nous devons repenser le soutien aux personnes en situation de vulnérabilité en concertation avec tous les acteurs et selon une approche interministérielle. Enfin, la protection des droits des personnes par la sécurisation et la centralisation des dispositions anticipées est indispensable pour respecter leur libre‑arbitre et leur statut de citoyen à part entière. Nous veillons ainsi à ce qu’ils puissent exercer leurs droits et rester maîtres de leurs vies.

 

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