Proposition de loi visant à proroger les délais de prescription des demandes d’indemnisation des ayants droit des victimes des essais nucléaires et à reconnaître leurs préjudices propres

Entre le 13 février 1960 et le 19 février 1966, 17 essais nucléaires français ont été réalisés en Algérie. Entre le 2 juillet 1966 et le 27 janvier 1996, 193 essais nucléaires se sont succédés en Polynésie française. Outre les 160 essais réalisés dans les sous-sols du Hoggar, dans ceux des atolls de Moruroa et Fangataufa et sous leurs lagons, la France a réalisé 50 essais nucléaires atmosphériques dans le Sahara et en Polynésie française occasionnant des retombées radioactives sur ces territoires et bien au-delà.

 

Ces retombées ont exposé les populations et l’environnement à des rayonnements ionisants particulièrement dangereux occasionnant de graves conséquences sanitaires, tels que cancers, leucémies ou myélomes. Le caractère radio-induit d’autres maladies, comme celles du muscle cardiaque, est à l’étude.

 

Après des années de débats, la loi Morin du 5 janvier 2010 met en place un premier dispositif d’indemnisation des victimes, toutefois assorti de conditions très restrictives. Il faudra attendre le vote de la loi pour l’égalité réelle des outre-mer (Loi EROM), en février 2017, pour faire bénéficier d’indemnités un plus grand nombre de personnes ayant pu connaître des atteintes à leur santé. Géré par le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), ce dispositif d’indemnisation reste largement perfectible. Scientifiques comme associations d’aide aux victimes appellent de leurs vœux une réforme profonde des critères ouvrant droit à indemnité.

 

Au printemps dernier, une Commission d’enquête relative à la politique française d’expérimentation nucléaire, à l’ensemble des conséquences de l’installation et des opérations du Centre d’expérimentation du Pacifique en Polynésie française, à la reconnaissance, à la prise en charge et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, ainsi qu’à la reconnaissance des dommages environnementaux et à leur réparation a été créée. Ses travaux ont été brusquement interrompus par la dissolution de l’Assemblée nationale, l’empêchant de rendre un rapport exhaustif afin d’améliorer la situation des victimes, restaurer l’environnement et préciser le traitement mémoriel de cet épisode historique.

 

Il existe toutefois une urgence qui concerne les délais de dépôt de demande d’indemnisation par les ayants droit des personnes décédées d’une maladie radio-induite.

 

En effet, lorsque la victime reconnue ou présumée est décédée, la demande de réparation peut être présentée au CIVEN par ses ayants droit, c’est-à-dire par sa famille ou ses proches. Néanmoins, les ayants droit sont contraints d’agir dans un certain délai : en cas de décès au plus tard le 31 décembre 2018, ils doivent présenter le dossier avant le 31 décembre 2024. Si le décès est intervenu à partir du 1er janvier 2019, la demande doit être présentée au plus tard le 31 décembre de la sixième année qui suit le décès.

 

Ces échéances sont clairement insuffisantes.

 

La procédure d’indemnisation est manifestement peu connue des ayants droit, la plupart d’entre eux ne sachant pas qu’ils peuvent saisir le CIVEN au nom de leur proche décédé. Et lorsqu’ils en ont connaissance, cette démarche est extrêmement longue et complexe à mettre en œuvre, notamment dans les régions isolées. En 2021, pour répondre à ces problématiques en Polynésie française, une mission dédiée au suivi des conséquences des essais nucléaires a été créée. Elle comprend une démarche de proximité dans les îles éloignées afin de faciliter la constitution des demandes d’indemnisation. Elle est cruciale au vu des difficultés techniques, matérielles et linguistiques auxquelles font face les populations.

 

Pourtant, en l’état actuel du droit, cette mission serait contrainte de délaisser une partie des ayants droit d’ici la fin de l’année. En effet, si leur proche est décédé avant la promulgation de la loi n° 2018-1317, c’est-à-dire au plus tard le 31 décembre 2018, la demande d’indemnisation ne sera plus recevable au-delà du 31 décembre prochain. Pourtant, les représentants de cette mission soulignent qu’ils n’ont pas encore pu prendre contact avec l’ensemble des ayants droit concernés, et que près de soixante-dix dossiers d’indemnisation sont toujours en phase de constitution et ne pourront être finalisés avant cette échéance.

 

Pour remédier à cette situation et permettre à la mission de proximité et à toutes les associations investies de poursuivre le travail d’information et d’assistance aux ayants droit dans la constitution des dossiers d’indemnisation, la présente proposition de loi vise dans son article premier à repousser au 31 décembre 2028 l’échéance du dépôt des demandes d’indemnisation pour les ayants-droits des personnes décédées avant la promulgation de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019.

 

Pour les ayants droit des personnes décédées après la promulgation de la loi du 18 décembre 2018 précitée, soit à partir du 1er janvier 2019, l’article premier prévoit  que la demande de réparation pourra être présentée au plus tard le 31 décembre de la dixième année qui suit le décès.

 

C’est en effet une mesure de cohérence et d’équité que de permettre aux ayants droit des victimes des essais nucléaires de bénéficier de délais similaires à ceux accordés notamment aux ayants droit des victimes de l’amiante.

 

L’article 2 a quant à lui pour objet de reconnaître l’ensemble des préjudices propres aux ayants droit, c’est-à-dire aux individus apportant la preuve de leur proximité affective avec la personne décédée des suites d’une maladie radio-induite due aux essais nucléaires français.

 

À l’instar là encore du dispositif prévu pour les victimes de l’amiante, les personnes justifiant d’un lien de proximité affective avec la victime directe doivent être reconnues comme victimes indirectes ou «par ricochet» des expérimentations nucléaires françaises. A ce titre, elles ont droit à la réparation intégrale de leurs préjudices spécifiques (préjudice d’affection, préjudice d’accompagnement, préjudice économique etc.). Or, en l’état actuel du droit, les victimes indirectes ne peuvent solliciter la réparation de leurs préjudices propres que sur le fondement des règles de droit commun (CAA Paris, 30 décembre 2021, N° 19PA03088) avec toutes les difficultés probatoires liées à ce type de demande, à savoir établir la preuve de l’existence d’un lien direct et certain entre la maladie ayant entraîné le décès et l’exposition du défunt aux rayonnements ionisants.

 

Dans un souci d’harmonisation du droit en matière d’indemnisation des victimes, mais également en faveur d’un traitement juste et équitable entre elles, la présente proposition de loi proroge le délai ouvert aux ayants droit pour déposer une demande d’indemnisation et reconnaît leur préjudice propre.

 

Ainsi, à l’image du régime juridique qui s’applique aux ayants droit des victimes de l’amiante et des erreurs médicales, les ayants droit des victimes des essais nucléaires disposeront de dix ans pour demander la reconnaissance de l’intégralité de leurs préjudices.

 

L’article 3 constitue le gage financier.

 

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