Proposition de résolution européenne relative à la révision du règlement européen REACH sur les substances chimiques

Tout renoncement dans la lutte contre les toxiques qui polluent notre environnement et abîment notre santé est une grave faillite politique. En la matière, l’abdication de la Commission européenne sur le calendrier de révision du règlement REACH est intélorable. Cette révision, promise en début de mandat par la Présidente de la Commission européenne et déjà plusieurs fois repoussée, est finalement absente du dernier programme de travail de la Commission. Cette révision est pourtant un impératif politique majeur pour être à la hauteur des enjeux sanitaires et environnementaux. En responsabilité, la présente résolution vise à positionner l’Assemblée nationale en faveur d’une révision urgente et ambitieuse du règlement REACH.

 

L’Union européenne (UE) n’échappe pas à la civilisation des toxiques

300 millions de tonnes de substances chimiques sont produites chaque année dans l’UE selon Eurostat. Parmi elles, environ 200 000 produits chimiques différents sont utilisés. ([1]) 74 % de ces substances sont considérées comme » dangereuses pour la santé ou l’environnement » par l’Agence européenne pour l’environnement et 18 % sont classées potentiellement cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques.

 

Hélas, ces substances sont omniprésentes dans nos organismes, comme le souligne le programme de biosurveillance européen HBM4EU, sur lequel s’est notamment fondé l’exécutif européen dans la formulation de ses objectifs. Parmi de nombreux exemples, des plastifiants comme les phtalates ou les bisphénols (dont des reprotoxiques) sont retrouvés dans les urines de tous les Européens. Des PFAS ont été mesurés au‑delà de « valeurs guides » – indicatrices d’un effet sanitaire possible – chez 14 % des adolescents européens de même que certains persticides chez près de 40 % de cette catégorie de la population. ([2])

Le règlement REACH, pierre angulaire de la lutte contre les toxiques

 

REACH est le règlement européen prévoyant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques ainsi que les restrictions éventuellement applicables à ces produits. Ce règlement, pierre angulaire de l’action européenne sur les produits chimiques, vise à sécuriser leur fabrication et leur utilisation dans l’UE.

 

Le règlement REACH s’applique en principe à toute substance chimique en circulation dans l’UE, celles utilisées dans les processus industriels de fabrication comme celles présentes dans les objets du quotidien (produits de nettoyage, peintures, vêtements, meubles, appareils électriques, etc.). Ce règlement a donc un effet sur la plupart des entreprises européennes.

 

REACH est fondé sur le principe de responsabilité des entreprises : les industriels identifient et gèrent les risques sanitaires et environnementaux des substances utilisées dans leurs productions. Le règlement prévoit une phase d’enregistrement des produits chimiques par les entreprises puis une phase d’évaluation toxicologique et écotoxicologique. La charge de produire les informations pertinentes pour l’évaluation des risques revient alors aux entreprises, en application du principe « pas de données, pas de marché ». L’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), instituée par le règlement REACH, contrôle les dossiers d’enregistrement, établit les listes des substances à évaluer et à autoriser en priorité et assure la coordination de l’évaluation des substances effectuées par les États membres. En articulation avec les autres normes européennes sur les substances chimiques, le règlement REACH prévoit la possibilité de soumettre à autorisation, de restreindre ou d’interdire l’utilisation des substances les plus dangereuses pour la santé et l’environnement. Dans ce cadre, les États membres et la Commission européenne peuvent par ailleurs proposer des restrictions spécifiques pour des substances chimiques particulièrement dangereuses.

 

La révision de REACH, promesse de la Commission européenne

Le règlement REACH est entré en vigueur en 2007. Après seize années de fonctionnement, de nombreuses voix soulignent ses lacunes et la nécessité d’une révision. Présentée comme un pilier de la stratégie « zéro pollution » du Pacte vert par la Commission européenne, cette révision est essentielle aux efforts pour lutter contre les crises du climat, de la pollution et de la perte de biodiversité, tout en garantissant un environnement sain aux citoyens européens.

Par ailleurs, la Stratégie de l’UE pour la durabilité dans le domaine des produits chimiques, décidée en octobre 2020, confirme la nécessité de renforcer l’action européenne sur les produits chimiques. Cette Stratégie réaffirme l’omniprésence de ces produits et rappelle également les propriétés dangereuses de la plupart de ces substances pour l’environnement comme la santé humaine. Ainsi, malgré une législation parmi les plus complètes au monde, les prévisions d’un doublement de production mondiale des produits chimiques de 2020 à 2030 et l’augmentation de leur utilisation, engagent à l’amélioration de la protection des citoyens et de la biodiversité tout comme à l’innovation vers des produits plus sûrs et durables. Le projet de révision de REACH a été initié dans le cadre de cette Stratégie.

 

En 2022, après l’ouverture de consultations publiques, la Commission européenne et l’ECHA ont publié une feuille de route ([3]) pour la mise en place et la priorisation des nouvelles restrictions à appliquer aux substances chimiques. Cette feuille de route vise notamment à ce que les engagements pris dans le cadre de la stratégie puissent être respectés de manière transparente et en temps voulu.

 

Le report de la révision de REACH, absente du programme de travail de la Commission européenne pour 2024 publié en octobre dernier, est un revirement regrettable, à rebours des ambitions initialement affichées par la Commission européenne.

 

Les priorités pour un renforcement ambitieux du règlement REACH

Dans le cadre initié par la Commission européenne en début de mandature, la révision de REACH devrait pouvoir répondre aux axes d’amélioration suivants :

Avoir un contrôle plus strict et efficace des dossiers d’enregistrement. En 2018, une enquête conjointe de l’Institut fédéral allemand de gestion de risques et de l’Agence allemande de l’environnement ([4])°, conclut, sur la base de 1 814 substances chimiques analysées, que 32 % d’entre elles ne respectent pas les exigences en matière de données requises pour évaluer les effets sur la santé et l’environnement. Les industriels doivent eux‑mêmes déclarer les substances qu’ils utilisent et fournir les informations disponibles sur leurs propriétés. Il ne peut y avoir aucune tolérance de commercialisation pour les substances aux données manquantes. Cette ambition est d’ailleurs affichée par la Commission européenne elle‑même.

 

Accélérer l’évaluation des substances, notamment en la généralisant aux familles et non plus au cas par cas. L’évaluation par familles de substances permet de couvrir un nombre plus important de substances et donc accroître le niveau de protection, tout en allégeant la charge pesant sur les structures d’évaluation comme sur les industriels.

 

Mieux évaluer le potentiel de perturbation endocrinienne des substances. Ce potentiel était jusqu’à présent absent des études et des données à fournir. Pour pallier ce manque, la révision envisagée prévoyait des exigences nouvelles aux données toxicologiques à présenter dans les dossiers d’enregistrement.

Élargir l’approche préventive dite « approche générique des risques ». Cette approche est jusqu’à présent appliquée uniquement aux substances cancérigènes. La révision de REACH doit permettre de l’étendre à toutes les substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques, les perturbateurs endocriniens, les substance persistantes, bioaccumulables et toxiques, mais aussi les neurotoxiques, immunotoxiques ou toxiques pour des organes spécifiques. ([5]) Cette approche garantit des interdictions plus fortes accompagnées de dérogations, plutôt que le principe actuel de cas par cas après évaluation des risques qui se solde majoritairement par le maintien des substances, dues aux nombreuses failles des méthodes d’évaluation de risques.

 

Permettre la prise en compte de l’exposition à des mélanges de substances, dite aussi de « l’effet cocktail ». Au‑delà d’une dangerosité prise isolément, les seuils d’acceptabilité doivent être revus en fonction de l’augmentation du risque que provoquent les combinaisons et démultiplications d’effets. Cette révision prévoyait donc d’introduire un facteur de sécurité supplémentaire.

 

La réduction de notre exposition collective aux toxiques présente des bénéfices dans de nombreux domaines

Sur la santé, la Commission européenne conclut dans une étude d’impact que la réduction de l’exposition à ces produits chimiques aurait des retombées positives directes, notamment en matière d’incidence de l’obésité, de l’asthme, de maladies neurologiques et du cancer.[6] Selon la sévérité des mesures de retrait envisagées, l’étude estime que la traduction économique des bénéfices attendus pour la population européenne se situerait entre 11 et 31 milliards d’euros par an à l’échelle de l’UE. Le poids économique de telles mesures pour les secteurs industriels concernés en revanche, serait de l’ordre de dix fois inférieur, compris entre 0,9 et 2,7 milliards d’euros par an.

 

Sur l’environnement, la révision de REACH devait aussi limiter l’exposition que les écosystèmes subissent et dont l’impact est particulièrement important pour les substances chimiques persistantes notamment. Ne pouvant pas se dégrader une fois émises, il est vital de limiter au plus tôt leur production pour ne pas augmenter encore la charge chimique qui pèse sur l’environnement, les eaux, les sols et la biodiversité.

 

De plus, les nouvelles exigences d’information sur l’empreinte environnementale des produits chimiques à intégrer à la future version de REACH, pourraient permettre de soutenir l’effort européen en matière de sobriété. Elles aideraient à une réduction des émissions de gaz à effets de serre et une utilisation plus durable des ressources et ainsi contribueraient à la réalisation d’objectifs environnementaux plus larges.

 

Cette révision de REACH, enfin, devait renforcer la compétitivité et l’innovation des entreprises européennes. Par l’interdiction progressive de substances massivement utilisées, les entreprises seront encouragées à la recherche, l’innovation et le développement de nouvelles alternatives. De surcroît, les industries pionnières en la matière qui ont déjà investi dans des substituts, sont affectées par ce report de REACH qui maintient l’emploi de substances souvent toxiques mais moins coûteuses. D’après une étude de Chemsec, la compétitivité serait aussi renforcée par la réduction des coûts liés à la toxicité des substances : coûts associés à la formation des travailleurs, au traitement des déchets et aux frais de santé ou d’arrêts maladies des travailleurs. ([7]) Enfin, l’incertitude liée à l’évolution de la réglementation est un frein pour les investisseurs. L’établissement du nouveau cadre législatif est nécessaire pour permettre la transition du secteur et garantir sa viabilité économique.

 

Notre responsabilité collective : engager la révision de REACH dès 2024

Les grands groupes de la chimie, ayant capitalisé sur l’invasion de l’Ukraine par la Russie et le contexte de crise énergétique et d’inflation qui touchent l’Europe, multiplient les interventions pour demander une pause dans la mise en œuvre de la stratégie pour la durabilité des produits chimiques. Avec un chiffre d’affaires de près de 230 milliards d’euros en 2021, l’industrie chimique et pharmaceutique allemande est le fer de lance de cette opération de sape de l’ambition européenne contre les toxiques. Hélas, celle‑ci semble porter ses fruits : après le revirement du Chancelier allemand, la Commission européenne a annoncé reporter sine die la révision du règlement REACH.

 

Les élections européennes à venir et l’incertitude règnant autour du futur équilibre politique de l’Union européenne ne garantissent guère le retour de cette révision dans les prochains programmes de travail de la Commission européenne. La mise à l’ordre du jour de ce plan est donc une priorité à réaffirmer d’urgence, dès 2024.

 

Par ailleurs, la révision du règlement REACH fait l’objet d’une demande unanime de la part de la communauté scientifique, d’associations, de représentants politiques, de citoyens à travers l’Union. Parmi de nombreuses initiatives en ce sens, le Bureau Européen de l’Environnement et ChemTrust, ont conjointement publié le 15 mars 2023 un document recensant les impacts négatifs découlant des reports de cette révision.[8] Le 14 mars 2023, une pétition à destination d’Ursula Von der Leyen, Présidente de la Commission européenne a été déposée et signée par des sociétés scientifiques issues de nombreux pays européens.[9] À notre échelle nationale, 40 ONG françaises et européennes ont envoyé une lettre ouverte à Elisabeth Borne, Première ministre, pour l’inviter à agir en faveur d’une révision rapide de REACH. ([10])

 

Ainsi, la présente résolution invite le gouvernement à s’opposer au report de la révision du règlement REACH et à œuvrer pour une révision ambitieuse de celui‑ci dès 2024.

 

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