Proposition de résolution européenne relative non‑renouvellement de l’autorisation du glyphosateau sein de l’Union européenne

Les États membres de l’Union européenne doivent très prochainement statuer sur l’autorisation du glyphosate qui expire le 15 décembre 2023.

 

Désherbant total foliaire systémique relevant du règlement (CE) 1107/2009, le glyphosate est l’herbicide le plus utilisé en France et dans le monde. 7 900 tonnes de substance active ont ainsi été vendues en 2021 dans l’Hexagone.

 

Le glyphosate, synthétisé par la firme Monsanto, a été autorisé pour la première fois en France en 1974, puis inscrit sur la liste des substances actives approuvées par l’Union européenne en 2002. L’autorisation du glyphosate a été renouvelée en 2017, dans des conditions controversées en plein scandale des Monsanto Papers, et bien que le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ait classé le glyphosate comme cancérigène probable en 2015. La France avait alors voté contre cette réautorisation du glyphosate dans l’Union européenne pour une durée de cinq ans et avait regretté le résultat du vote des États membres .

 

L’autorisation du glyphosate dans l’Union européenne aurait donc dû prendre fin en décembre 2022, mais son expiration a été repoussée d’un an. La Commission européenne propose de soumettre au vote des États membres un renouvellement de l’autorisation du glyphosate pour une durée de dix ans, jusqu’en 2033.

 

La Commission européenne fonde sa proposition sur les conclusions de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) selon lesquelles l’examen par les pairs ([6]) de l’évaluation des risques associés à la substance active glyphosate en ce qui concerne les risques pour l’homme, pour l’animal ou pour l’environnement « n’a pas révélé de sujet de préoccupation critique ». L’EFSA identifie pourtant des « lacunes dans les données », des « questions non résolues » et des « questions en suspens » et a mis en évidence « un risque élevé à long terme pour les mammifères dans 12 des 23 utilisations proposées du glyphosate ».

 

Ces conclusions relativisant les risques résultant de l’utilisation du glyphosate ignorent notoirement une grande partie de la littérature scientifique quant à ses effets pour la santé humaine et la biodiversité, démontrés à plusieurs reprises par des instituts publics de référence mondiale.

 

Ainsi, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), établissement public à caractère scientifique et technologique placé sous la tutelle des ministères de la Santé et de la Recherche, a mis à jour en 2021 son rapport d’expertise collective sur les effets des pesticides sur la santé humaine . Il relève son niveau de présomption de lien entre l’exposition au glyphosate et la survenue de lymphome non hodgkinien, cancer du système lymphatique, de faible à moyen.

 

Les conclusions de l’Inserm concernant les conséquences du glyphosate pour la santé humaine sont éloquentes :

 

– Génotoxicité : « De nombreuses études mettent en évidence des dommages génotoxiques (cassures de l’ADN ou modifications de sa structure) ». Ils sont un facteur de cancérogénicité. En effet, « ces dommages, s’ils ne sont pas réparés sans erreur par les cellules, peuvent conduire à l’apparition de mutations et déclencher ainsi un processus de cancérogenèse » ;

 

– Stress oxydant : l’étude met en évidence l’induction d’un stress oxydant par le glyphosate. Ce dernier joue un rôle dans la génotoxicité, la cancérogénicité et la neurotoxicité. À propos des dommages génotoxiques causés par le glyphosate, le rapport précise que « de tels effets sont cohérents avec l’induction directe ou indirecte d’un stress oxydant par le glyphosate, observée chez différentes espèces et systèmes cellulaires, parfois à des doses d’exposition compatibles avec celles auxquelles les populations peuvent être confrontées ». Par ailleurs, « il est largement accepté qu’un stress oxydatif et/ou une perturbation de la physiologie mitochondriale participent au développement de pathologies neurodégénératives » ;

 

– Effets reprotoxiques et perturbateurs endocriniens : dans son commentaire à la consultation publique européenne, l’Inserm suggère que « les GBH et le glyphosate peuvent présenter des propriétés de perturbation endocrinienne qui ont un impact sur la fonction de reproduction ». À cet égard, l’Inserm souligne que « le fait de centrer la polémique sur un potentiel effet cancérogène pourrait occulter d’autres mécanismes possibles de toxicité, en particulier un effet de perturbation endocrinienne », mais aussi que « les résultats des études sont convergents et suggèrent une interaction du glyphosate avec les voies de régulation des hormones sexuelles » ;

 

– Toxicité mitochondriale : selon le rapport, « une toxicité mitochondriale peut être observée avec des doses environnementales » ;

 

– Modes d’actions épigénétiques et transgénérationnels : l’expertise observe à partir de cinq études « un mode d’action épigénétique du glyphosate et des GBH est observé dans plusieurs études dont une pour des valeurs d’exposition inférieures à la NOAEL sur une dose d’exposition courte ». Les modifications épigénétiques sont associées à de nombreuses pathologies et peuvent se transmettre au travers des générations ;

 

– Effets sur le microbiote : le rapport souligne que « le lien entre dysbiose du microbiote intestinal (…) et de nombreuses pathologies incluant le cancer et les maladies psychiatriques (…) devraient inciter à tester plus en détail l’effet du glyphosate sur les populations microbiennes » ;

 

– Neurotoxicité : l’Inserm note que « des études récentes montrent ainsi que des GBH induisent une altération de concentration de plusieurs neurotransmetteurs ». « Les effets neurotoxiques du GBH sont accompagnés d’un état dépressif et d’une diminution de mobilité. Ceci permet de noter que ces diminutions de concentrations des neurotransmetteurs pourraient expliquer les déficits locomoteurs ou un syndrome d’anxiété‑dépression également observés dans d’autres études récentes, chez des rongeurs exposés au glyphosate ou au GBH ».

 

Le rapport d’expertise collective de l’Inserm est basé sur la littérature scientifique et inclut ainsi un grand nombre d’études universitaires. Ces dernières ont été complétées par les recherches des groupes d’experts réunis par l’institut ainsi que par son Pôle Expertises collectives. La divergence entre la littérature scientifique et les évaluations réglementaires avait été soulignée par un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) de mai 2019 : « Le CIRC et l’EFSA ne fondent pas leur analyse exactement sur les mêmes sources. […] L’EFSA fait reposer son analyse sur les études des industriels et sur les études publiées depuis 10 ans au plus dans des publications scientifiques avec un système de revue par les pairs, tandis que le CIRC examine toute la littérature scientifique publiée, mais sans avoir nécessairement accès aux données des firmes ».

 

Enfin, en ce qui concerne les conséquences du glyphosate pour la santé humaine, une nouvelle étude, publiée le 6 septembre 2023 suggère pour la première fois « un lien entre l’exposition au glyphosate et les biomarqueurs indiquant des dommages neurologiques chez les adultes américains ».

 

Les conséquences destructrices du glyphosate pour la biodiversité doivent aussi être au centre de l’attention. Dans une note scientifique publiée en décembre 2021 et consacrée au déclin des insectes, l’OPECST soulignait qu’ » outre les insecticides, les herbicides, les fongicides et les engrais contribuent largement au déclin des insectes, notamment en modifiant la flore utile », en précisant au sujet de la catégorie des herbicides dont relève le glyphosate qu’ » ils réduisent l’abondance et la diversité des plantes à fleurs qui fournissent du pollen et du nectar ».

 

En 2022, le Comité d’évaluation du risque de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) a souligné la toxicité chronique de la substance pour les espèces aquatiques.

 

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a confirmé en 2022, à partir d’expérimentations menées sur plusieurs générations de truites arc‑en‑ciel, que le « glyphosate, pur ou intégré dans des herbicides, avait des effets pouvant se répercuter sur plusieurs générations de cette espèce ».

 

En 2015, l’EFSA a identifié des risques pour les espèces vertébrées terrestres sauvages non ciblées suite à l’exposition aux produits à base de glyphosate.

 

En mai 2023, une étude de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) sur la pollution des sols par les pesticides soulignait que « les principales molécules les plus fréquemment détectées sont le glyphosate et l’AMPA, son métabolite principal, présents dans 70 % et 83 % des sols prélevés ».

 

Au sujet des conséquences du glyphosate pour la vie des sols, le rapport de l’OPECST, rapporte les propos de la professeure de dégradation et de conservation des sols Violette Geissen de l’université de Wageningue aux Pays‑Bas, selon laquelle « les tests écotoxicologiques réglementaires s’intéressaient à deux types de vers (Eisenia fetida et Eisenia andrei) peu sensibles à l’AMPA et au glyphosate […], mais pas aux lombrics communs (lumbricus terrestris) alors que l’on constate que l’activité de surface cesse environ pendant trois semaines après application du glyphosate et que leur reproduction est réduite de 56 % pendant trois mois ». À cet égard, le rapport met en évidence, au sujet des expertises réglementaires, des « pans entiers d’ignorances, ou du moins de connaissances limitées, notamment dans le champ écotoxicologique ».

 

Le glyphosate entraîne également une pollution des eaux. Les analyses de l’Anses, réalisées en 2017, attestent de « la présence fréquente du glyphosate et de l’acide aminométhylphosphonique (AMPA) dans les eaux de surface telles que les rivières et les lacs (50 % des prélèvements pour le glyphosate et 74 % pour l’AMPA), induisant une exposition des organismes aquatiques ».

 

Enfin, le glyphosate présente également un risque pour les pollinisateurs. Des chercheurs du département biologie intégrative de l’Université du Texas ont démontré que le glyphosate était susceptible d’augmenter la mortalité des abeilles en agissant sur leur flore intestinale. Une autre étude, publiée en 2022, montre que le glyphosate altère la capacité des colonies de bourdons terrestres à réguler la température de leur nid, réduisant alors leurs capacités de reproduction.

 

La position prise par la France en 2017 en s’opposant au renouvellement de l’autorisation du glyphosate dans l’Union européenne pour une durée de cinq ans était donc pleinement fondée au regard des conséquences de cette substance pour la santé humaine et la biodiversité. Cette position a été confortée par les travaux scientifiques publiés depuis.

 

Le législateur doit aussi prendre en considération l’arrêt rendu le 19 janvier 2023 par la Cour de justice de l’Union européenne au sujet des néonicotinoïdes mais dont le considérant 24 est de portée beaucoup plus générale :

 

« Lors de la délivrance d’autorisations pour des produits phytopharmaceutiques, l’objectif de protection de la santé humaine et animale et de l’environnement, en particulier, devrait primer l’objectif d’amélioration de la production végétale. Par conséquent, il devrait être démontré, avant leur mise sur le marché, que les produits phytopharmaceutiques présentent un intérêt manifeste pour la production végétale et n’ont pas d’effet nocif sur la santé humaine ou animale, notamment celle des groupes vulnérables, ou d’effet inacceptable sur l’environnement ».

 

Dans ces conditions, les freins au changement des pratiques agricoles vers l’agroécologie régulièrement mises en avant dans le débat public, ne peuvent être un prétexte à la poursuite de l’utilisation de poisons dont les conséquences sur la santé humaine et l’environnement sont inacceptables et ont été démontrées à maintes reprises.

 

Alors qu’il avait initialement annoncé que, faute d’une interdiction à l’échelle européenne du glyphosate, celui‑ci serait interdit en France fin 2020, le Président de la République Emmanuel Macron a justifié l’impossibilité de mettre en œuvre cet engagement par le fait qu’ » il faut agir sur ces sujets au niveau européen. Cela ne marche pas si on le fait tout seul ».

 

La France, dans la continuité de la position qu’elle avait prise en 2017, doit donc jouer un rôle majeur pour convaincre les États membres de voter contre la réautorisation du glyphosate à l’échelle de l’Union européenne.

 

La présente résolution, à l’image de celle adoptée le 7 septembre 2023 par le Parlement des Pays‑Bas, invite le gouvernement à renouveler sa prise de position de 2017 et à voter contre le renouvellement de l’autorisation européenne du glyphosate.

 

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