Proposition de résolution pour éviter la dérégulation des nouveaux organismes génétiquement modifiés

Les auteurs de cette proposition de résolution – Mme Lisa Belluco (Écologiste‑NUPES) et M. Stéphane Delautrette (Socialistes et apparentés) – avaient chacun déposé une proposition de résolution européenne pour inciter le Gouvernement à éviter toute dérégulation par la Commission européenne de la législation sur les organismes génétiquement modifiés (OGM), dérégulation sans fondement scientifique et qui nous inquiète, tant pour la santé environnementale que pour notre souveraineté alimentaire.

 

La commission des affaires européennes nous ayant nommés co‑rapporteurs sur ces deux propositions de résolution, nous avons décidé, dans un souci de cohérence et de complémentarité, et après un travail d’information en commun qui nous a conduit à procéder à un cycle d’auditions, de rédiger la présente proposition de résolution qui se substitue aux deux initiales.

 

La sélection des plantes cultivées est aussi ancienne que les débuts de l’agriculture. Cette sélection a pendant très longtemps été naturelle, la plante s’adaptant à son environnement au fil des années, ou consciente, lorsque c’est l’agriculteur ou l’agricultrice qui décidait de privilégier telle ou telle variété au détriment d’une autre. L’avancée des connaissances et les progrès technologiques ont depuis permis l’évolution des techniques de sélection, non sans provoquer un intense débat démocratique. L’apparition des organismes génétiquement modifiés (OGM) au début des années quatre‑vingt‑dix a ainsi opposé semenciers et associations environnementales, entraînant citoyens, citoyennes et responsables politiques à prendre position sur cette question. Cette controverse avait débouché sur une définition européenne des OGM et sur un cadre réglementaire strict qui définit encore actuellement l’utilisation de ces techniques.

 

Cette position historique défendue par la France est aujourd’hui profondément remise en cause par une nouvelle proposition de règlement, présentée le 5 juillet dernier par la Commission européenne, qui propose de supprimer la quasi‑totalité des règles encadrant la production et la commercialisation d’organismes génétiquement modifiés produits à partir des nouvelles techniques d’édition génomique (NTG, ou NGT en anglais).

 

Développées ces dernières années, ces nouvelles techniques de génie génétique sont considérées comme des OGM par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui, en 2018, a jugé que tous les produits issus des NTG devaient être, d’un point de vue législatif, assimilés à des organismes génétiquement modifiés (OGM) et donc soumis aux règles strictes les encadrant en matière de procédure d’autorisation, de traçabilité, d’étiquetage ou encore de surveillance.

 

Avec sa proposition, la Commission tend à accréditer l’idée que les NTG ne sont pas des OGM. Ce retour en arrière est défendu depuis des années par les géants de l’industrie agroalimentaire ([1]) au mépris du principe de précaution et du droit à l’information des consommateurs et consommatrices. Récemment critiquée par un avis de l’ANSES ([2]) qui remet en cause le fondement même de la proposition de la Commission, cette nouvelle réglementation inquiète de nombreux paysans et paysannes, distributeurs et associations de consommateurs.

 

Bien évidemment, notre position ne consiste pas à aller à l’encontre de la recherche scientifique. De fait, la réglementation appliquée aux OGM depuis plus de deux décennies sur le territoire européen n’a aucunement bridé la recherche agronomique. Cependant, en l’état actuel, une telle dérégulation, sans garde‑fous pour les États membres, est en totale incohérence avec les objectifs d’alimentation durable, de sécurité alimentaire et d’information des consommateurs et consommatrices qui sont au cœur de la transition alimentaire de demain.

 

La présente résolution vise donc à positionner l’Assemblée nationale contre la réglementation actuellement en discussion au niveau européen et appelle le gouvernement français à s’opposer à une dérégulation totale des Nouvelles Techniques Génomiques lors des prochaines négociations au Conseil européen.

 

Une dérégulation des NTG en préparation

Actuellement, aucun OGM ne peut être mis sur le marché ou disséminé dans l’environnement sans une autorisation préalable, délivrée après un contrôle des risques sanitaires et environnementaux. Les règlements européens soumettent également chaque OGM commercialisé à des règles strictes de surveillance, de traçabilité et d’étiquetage. Depuis l’arrêt de la CJUE de 2018, l’ensemble des NTG est soumis à ces règles. La proposition de la Commission européenne cherche donc à exonérer les variétés NTG de ces contraintes réglementaires. Pour ce faire, les variétés de « nouveaux OGM » seraient divisées en deux catégories :

– Les variétés NTG qui présentent plus de 20 mutations génétiques demeureraient soumises à la réglementation européenne, avec tout de même une plus faible évaluation des risques.

– Celles comportant moins de 20 mutations génétiques ne seraient plus considérées comme des OGM sous prétexte que ces mutations auraient pu apparaître « naturellement ou être produites par la sélection conventionnelle » selon le texte de la Commission.

 

Ces semences seraient donc exemptées d’une évaluation des risques, mais également de toute obligation de traçabilité et d’étiquetage. Au regard des critères choisis par la Commission, plus de 90 % des nouveaux OGM appartiendraient à cette catégorie et seraient donc exemptés d’évaluation des risques, sans suivi à long terme des effets sanitaires ou environnementaux de ces nouveaux produits, ni recul sur leurs conséquences.

 

Une analyse scientifique infondée

Le postulat aujourd’hui utilisé par la Commission est le suivant : les plantes issues des NTG sont similaires à ce que la nature pourrait produire. Cette analyse est très largement contestée, notamment par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES). Dans son avis du 21 décembre 2023, l’Agence critique les fondements mêmes qui ont amené la Commission à présenter ce texte. Le groupe de travail met en lumière un manque de clarté et une « insuffisance de justifications scientifiques de l’équivalence recherchée entre des plantes NTG respectant les critères proposés et des plantes conventionnelles. » De plus, l’ANSES rappelle que « le risque associé n’est pas directement proportionnel à un nombre de modifications quelles qu’elles soient », ce qui rejoint les nombreuses critiques énoncées ces derniers mois remettant en cause le caractère arbitraire du seuil retenu de vingt mutations. L’absence de justification scientifique inquiète d’autant plus que la mise en culture de NTG est loin d’être anodine pour la santé des consommateurs et pour l’environnement.

 

Des risques sanitaires et environnementaux non négligeables

L’étendue des impacts des « nouveaux OGM » sur la santé humaine est aujourd’hui très peu détaillée. Au lieu d’être supprimée, l’évaluation des risques devrait donc être un prérequis avant toute autorisation. En ne respectant pas le principe de précaution, c’est toute la confiance des citoyens et des citoyennes envers leur alimentation qui pourrait être remise en cause en cas de problèmes sanitaires dans les prochaines années.

 

À ce risque sanitaire s’ajoutent des risques environnementaux qui commencent à peine à être documentés. Plusieurs chercheurs mettent ainsi en avant les potentiels « effets hors cibles » de certaines de ces technologies, c’est‑à‑dire des impacts non anticipés sur des secteurs génétiques non supposés être affectés par la modification génétique initiale. Une étude de l’Agence fédérale allemande de conservation de la nature ([3]) évoque également différents impacts potentiels des NTG qui provoqueraient la création de variétés plus invasives et plus résistantes aux pesticides, ce qui appauvrirait encore davantage la biodiversité agricole et la santé des sols. Une autre inquiétude se focalise sur la création des « super variétés » ultra résilientes issues de NTG, qui pourraient à long terme écraser la diversité agricole et uniformiser les paysages. Interrogé à ce sujet par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), M. Denis Couvet, expliquait ainsi que « Les plantes génétiquement modifiées sont un succès commercial considérable. Elles couvrent actuellement 200 millions d’hectares. Il est donc possible de dresser un bilan, même si, j’en conviens, le passé ne préjuge pas de ce qu’il adviendra. 90 % de ces plantes, en termes de surface cultivée, relèvent de quatre espèces : le maïs, le soja, le coton et le colza. 90 % de ces plantes correspondent à deux caractères : tolérance au glyphosate et production de BT. La diversité n’est donc pas fameuse »

 

Enfin, la nouvelle réglementation pourrait déréguler complètement des plantes ayant des propriétés insecticides fatales pour de nombreuses espèces d’insectes, dont les pollinisateurs. Nous appelons donc à ce que la Commission revienne sur cet ajout de dernière minute et que ces pesticides d’un nouveau type fassent, tout comme l’ensemble des NTG, l’objet d’une évaluation environnementale avant toute dissémination dans nos champs. C’est également la position du Conseil Économique Social et Environnemental (CESE) qui recommande, dans son avis du 24 mai, « une évaluation systématique des produits NGT, à la fois a priori sur les risques sanitaires et environnementaux et a posteriori par des réseaux de biovigilance et de sociovigilance. »

 

Une nouvelle dépendance pour nos agriculteurs et agricultrices

Ce projet de règlement comporte également des risques importants pour nos agriculteurs. En l’état actuel, il permettrait à quelques multinationales des semences d’accroître leur contrôle sur le secteur agricole et in fine sur notre souveraineté alimentaire. La perspective de brevets sur les traits génétiques édités serait ainsi une catastrophe pour nos cultivateurs qui devraient faire face à un coût d’achat encore plus important, à l’heure où l’inflation alimentaire et la rémunération de nos agriculteurs sont deux priorités nationales. La question du monopole des semences par quelques multinationales pose aussi celle de la souveraineté alimentaire de notre pays. En effet, à l’heure actuelle, la grande majorité des brevets est détenue par des grandes firmes agrochimiques et des laboratoires étrangers, bien loin des objectifs de souveraineté alimentaire que nous tentons de défendre à l’échelle nationale et européenne. Laisser à quelques multinationales extra‑européennes la possibilité de posséder les variétés que nous cultivons sur notre sol reviendrait à abandonner notre souveraineté agricole.

 

Une atteinte au droit à l’information

Pour les consommateurs et les consommatrices aussi, ce règlement aurait des conséquences désastreuses. Il porterait une grave atteinte au droit à l’information pourtant consacré à l’article 169 du traité sur le fonctionnement de l’UE, ainsi qu’à leur liberté de choisir de ne pas consommer d’OGM. Alors que certaines études démontrent que plus de 90 % des consommateurs français souhaitent que soit indiquée l’inscription « nouveau OGM » sur leurs emballages ([4]), la proposition de la Commission, faute d’exigence en matière d’étiquetage, ne permettra plus au consommateur d’être éclairé sur ce qu’il achète. À l’heure où la confiance entre industrie agroalimentaire et consommateur est au cœur des enjeux, notamment depuis les nombreux scandales des dernières années, une telle décision va à l’encontre des attentes des citoyennes et des citoyens français et européens.

 

Un véritable risque pour la filière du bio

Ce manque de transparence n’affectera pas seulement le consommateur, mais bien toute la filière du bio. Ainsi, le manque de traçabilité des semences ne permettra pas aux distributeurs et aux marques, de garantir que leur production ne contient pas d’OGM. De même, les contaminations entre cultures ne permettront plus aux paysans et paysannes de garantir que leur production ne contient pas d’OGM, alors qu’il s’agit aujourd’hui d’un prérequis imposé par leur cahier des charges.

 

En effet, les organismes sexuellement compatibles peuvent se transmettre certains gènes, et notamment les gènes modifiés en laboratoire ([5]). Cette contamination, provoquée par la pollinisation, mais aussi par le vent ou les manipulations tout au long de la chaîne de production, menace le développement et la confiance des consommateurs envers la filière bio en France.

 

Une dérégulation sans possibilité d’opt out national

Le 7 février 2008, le ministre de l’Écologie, du développement durable et de l’environnement, Jean Louis Borloo, annonçait l’interdiction de la culture du maïs transgénique MON810 en conformité avec le droit européen de l’époque. Une telle décision sera rendue impossible par cette nouvelle proposition de règlement. La suppression des « clauses de sauvegarde », principe pour lequel la France s’était largement battue lors des négociations sur la directive qui régit depuis 2001 la culture et la commercialisation des OGM de première génération, ne permettra plus à un État de revenir en arrière. En l’état actuel de la rédaction, il serait donc impossible pour un État membre de refuser de cultiver ou d’importer des « nouveaux OGM » alors même que ces quinze dernières années, deux gouvernements français, l’un de gauche et l’autre de droite, ont pris des décisions en ce sens. Il est donc impératif que la France porte, lors des négociations futures, le retour de clause de sauvegarde, seul garde‑fou à l’échelle nationale – il en va de notre souveraineté agricole.

 

Une maladaptation face à la crise environnementale

Si, par la présente résolution, nous alertons sur les dangers d’une telle dérégulation, c’est également parce que l’histoire des OGM nous incite à la prudence. Comme pour les NTG aujourd’hui, les variétés d’OGM « classiques » étaient également supposées créer des plantes plus résistantes aux aléas climatiques et ainsi favoriser la souveraineté alimentaire européenne et mondiale. Trente ans après, le résultat est très éloigné des ambitions initiales. Ainsi, 99 % des OGM cultivés dans le monde en 2019 sont soit plus tolérants aux herbicides, soit produisent directement des herbicides pour résister aux insectes ravageurs, soit les deux ([6]). La culture d’OGM a donc principalement permis l’épandage d’herbicides comme le démontre l’augmentation de l’utilisation du glyphosate dans les pays ayant principalement recours aux OGM, comme les États Unis ou le Brésil pour la culture du soja. La raison à cela est simple, l’utilisation répétée d’herbicides comme le glyphosate a favorisé l’évolution d’espèces d’herbes invasives résistantes aux herbicides. Pour en venir à bout, les agriculteurs ont déployé deux stratégies : recourir à d’autres herbicides ou augmenter les quantités appliquées. Si l’Europe a pu en grande partie éviter de tomber dans ce piège, c’est notamment grâce à la réglementation mise en place au niveau européen dans la première décennie du XXIe siècle.

 

À ce stade, rien n’indique que les plantes obtenues via NTG soient durables, ou résistent à des stress hydriques ou à des hausses de température. De telles caractéristiques ne reposent pas sur un gène mais sur une combinaison et une interaction entre de nombreux gènes. Au‑delà de la plante elle‑même, la résistance à la sécheresse ou tout autre trait lié à la durabilité dépendent surtout de facteurs environnementaux externes, en particulier la qualité du sol, les conditions climatiques, la biodiversité locale et les pratiques agricoles, facteurs sur lesquels les manipulations génétiques n’auront aucune prise.

 

Bien qu’elles soient présentées comme une solution face à la raréfaction de la ressource en eau, les plantes obtenues via des NTG ne permettront sans doute pas la mise en œuvre de la transition du monde agricole, pourtant nécessaire. Au contraire : présentées comme un vecteur d’adaptation, elles serviront d’alibi pour ne pas activer les véritables leviers de la transition, et constituent en cela une maladaptation au changement climatique et à la crise environnementale en général. Cette crainte est bien perçue par le CESE :

 

« L’utilisation des plantes issues des NTG ne doit pas obérer la nécessaire réflexion sur les modèles agricoles qui répondront aux attentes des consommateurs de demain, qui accompagneront la transition agro écologique et permettront de relever les défis climatiques et géopolitiques qui nous attendent ».

 

Puisqu’une « solution » est mise en œuvre, de nombreux acteurs pourront s’en prévaloir pour ne pas activer des leviers que l’on sait pourtant sûrs et efficaces pour réussir la transition agricole. Ces solutions sont fondées sur la nature : garder nos sols vivants, désartificialiser les sols pour permettre à l’eau de s’infiltrer dans les nappes et de s’y conserver, reméandrer les cours d’eau et planter des haies dans le même but, préserver la biodiversité pour se préserver des ravageurs.

 

Si nous sommes bien évidemment ouverts à la perspective du progrès permis par la recherche scientifique, nous devons également rester attentifs aux conditions dans lesquelles celui‑ci est mis en œuvre. Or, en l’état actuel, ce texte n’offre aucune garantie environnementale et sanitaire. Les nombreux arguments développés dans la présente résolution démontrent que nous ne pouvons tolérer la mise sur le marché de variétés issues des technologies NTG sans une analyse complète de leurs impacts sur les cultures, la biodiversité et la santé de nos concitoyens et concitoyennes.

 

Puisque les études de l’ANSES et de l’EFSA, deux entités reconnues pour la qualité de leur expertise et leur indépendance, n’ont pour le moment pas été publiées, il est impossible de garantir aux citoyens que la proposition de la Commission, modifiée au Parlement européen, soit fondée scientifiquement et permette de prolonger le mouvement historique de sélection variétale et d’amélioration des plantes.

 

Dès lors, nous plaidons, comme l’ont fait avant nous de très nombreuses ONG environnementales, associations paysannes et scientifiques, pour que le gouvernement s’oppose à la proposition de la Commission européenne et plaide au contraire pour le maintien de la réglementation actuelle ou à défaut, pour une version qui permette une clause « d’opt‑out » afin que la représentation nationale puisse, à la lumière des analyses et rapports en cours, décider si elle souhaite ou non l’introduction de NTG dans nos champs.

 

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