Proposition de loi pour un soutien pérenne de la filière musicale française
Le 21 juin dernier, jour de la fête de la musique, le Président de la République annonçait sa volonté de créer une contribution sur les contenus audiovisuels en flux, autrement dit « une taxe streaming », pour soutenir l’industrie musicale. Voulant offrir une marge de manœuvre aux plateformes concernées, il avait laissé au secteur jusqu’au 30 septembre pour s’accorder.
À l’image de l’obligation faite à certaines plateformes de vidéos à la demande de consacrer une partie de leur chiffre d’affaires fait en France à la création audiovisuelle, cette taxe doit permettre de faire contribuer les plateformes musicales à la filière et in fine de préserver la « souveraineté culturelle française ».
Force est de constater qu’à peine plus de huit mois plus tard et alors que de nombreuses personnalités de la culture, à l’instar d’anciens ministres, soutiennent cette mesure et que de nombreux députés de tout bord ont déposé un amendement en ce sens dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024, cette taxe n’est pas reprise par le Gouvernement après le déclenchement de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution par la Première ministre.
Cela est d’autant plus regrettable que cette idée s’appuie en majeure partie sur le rapport du Sénateur Julien Bargeton, « La stratégie de financement de la filière musicale en France » d’avril dernier. Il avait ainsi suggéré d’instaurer une contribution spécifique de la musique enregistrée à travers le streaming, aujourd’hui le secteur le plus porteur de la filière. Selon lui, c’est le dispositif qui permettra de faire du Centre national de la musique (CNM) le véritable fer de lance de l’ambition française pour la musique.
Cette solution apparaît comme la plus équilibrée de la part même de la grande majorité des acteurs de la filière. Les rares s’y opposant sont ceux qui n’ont pas cru au projet du CNM dès l’origine et privilégient une contribution volontaire. Nous pensons, comme le rapporteur Bargeton, que cette voie n’est pas à suivre. S’apparentant à une cagnotte, cette contribution volontaire ne présente aucune garantie de rendement pérenne à la hauteur des ambitions du CNM. Par ailleurs, une telle contribution, reposant sur la seule volonté des plateformes, permettrait aux acteurs étrangers de s’y soustraire alors même qu’ils bénéficient des programmes de soutien du CNM. Ce choix de la contribution volontaire se traduirait donc immédiatement par l’exclusion de la musique enregistrée du champ du Centre national de la musique. L’idée du CNM est que les acteurs importants financent les projets émergeants et les plus petits acteurs, dans un esprit de solidarité et de mutualisation des risques, et qu’il serait dès lors incompréhensible que les grosses structures, souvent installées en dehors du territoire nationale, touchent des aides du CNM et ne contribuent jamais à son fonctionnement.
Créé le 1er janvier 2020 au terme de près de dix ans de travaux et de préfiguration forte de la filière musicale, le Centre national de la musique a très rapidement su montrer sa pertinence. Il est désormais vu comme la « maison commune » de la musique. La pandémie lui a donné l’occasion de démontrer son importance en soutenant et en accompagnant des secteurs fortement impactés par la crise sanitaire. Il s’est ainsi imposé comme un rouage essentiel de la politique publique dirigée vers le secteur de la musique et des variétés. Ces premières années d’existence sont sans équivoque. Ainsi, pour soutenir la création dans toute sa diversité, le schéma initial du Centre national de la musique doit être pérennisé et renforcé.
En effet, la sensibilité de la taxe sur les billetteries de spectacles aux éléments exogènes (crise sanitaire, aléas climatiques, inflation…), dont la nouvelle contribution serait l’extension, appelle à un rééquilibrage de ses financements entre les différents secteurs (spectacle vivant d’une part, musique enregistrée d’autre part). De plus, la contribution attendue de la part des organisations en gestion collective (OGC) a été fortement fragilisée par les conséquences de l’arrêt RAPP (Recorded Artists Actors Performers Ltd) du 18 septembre 2020 de la Cour de justice de l’Union européenne, qui a réduit par ailleurs de 25 millions d’euros par an les aides internes à la filière et renforce d’autant les besoins du secteur en matière de soutien financier. En effet, par cet arrêt, la Cour de justice de l’Union européenne est venue rappeler que « le droit de l’Union européenne s’oppose à ce qu’un État membre exclue les artistes interprètes ou exécutants qui sont ressortissants d’État tiers à l’Espace économique européen du droit à une rémunération équitable et unique pour la diffusion de musique enregistrée ».
La mise en place d’une contribution des services de diffusion de musique en ligne, gratuits et payants permettrait de rééquilibrer les contributions des différents secteurs au financement des missions de l’établissement, et de lui affecter une ressource complémentaire, dynamique et pérenne, selon un mécanisme de solidarité interne à la filière qui a démontré sa pertinence dans d’autres secteurs. (Centre national du Cinéma, Centre national du livre…).
L’article 1er, conformément à la préconisation du rapport, propose d’appliquer un taux marginal (1,75 %) à une assiette élargie (chiffre d’affaires publicitaire et généré les abonnements). S’agissant de l’imposition du chiffre d’affaires des services d’accès par abonnement, il est en outre proposé d’introduire des mécanismes de progressivité pour préserver les équilibres économiques de la filière :
– un barème d’imposition progressif par seuils de chiffre d’affaires afin de ne pas fragiliser les acteurs les plus émergents, et d’accompagner la montée en puissance du streaming par abonnement ;
– une montée en puissance graduelle sur trois ans de la charge fiscale pour ne pas déséquilibrer le modèle économique des redevables et atténuer l’entrée dans le champ de cette nouvelle contribution.
L’article 2 dispose que le Centre national de la musique peut recevoir de l’administration des impôts tous les renseignements relatifs au montant de la contribution définie à l’article 1er.
L’article 3 définit l’entrée en vigueur du dispositif de la présente loi au 1er janvier 2024.
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