Proposition de loi visant à protéger les jeunes des publicités en faveur de l’alcool

L’alcool cause 41 000 décès chaque année dans notre pays et représente le deuxième facteur de risque évitable de cancers. La consommation excessive d’alcool concerne plus d’un cinquième de la population, selon Santé Publique France.

 

Chaque année, près de 30 % des accidents mortels, sur les routes françaises, sont dus à des abus d’alcool. Dans les Outre‑mer, à La Réunion, par exemple, ce taux est 2 fois supérieur. Selon les chiffres de la délégation ministérielle à la sécurité routière, la consommation excessive d’alcool est responsable d’un décès sur six et de 15 passages aux urgences chaque jour.

 

Plus largement, la consommation d’alcool est présente dans une grande partie des faits de violences sur notre territoire. Ainsi elle est impliquée dans 40 à 50 % des agressions sexuelles, dans près de 67 % des cas de violences conjugales, et dans 30 à 40 % des violences en général (rixes, bagarres, etc.).

 

L’alcool coûte 102 milliards d’euros à la société française, chaque année.

 

Pour les professionnels de santé comme le Dr David Mété, chef du service d’addictologie au Centre universitaire hospitalier de La Réunion : « Il faut cibler en priorité ceux qui n’ont pas encore touché à une goutte d’alcool, avec pour objectif de retarder le plus possible le premier contact avec l’alcool. » En effet, les neurosciences établissent l’âge de fin de maturation du cerveau entre 22 et 24 ans. Une consommation d’alcool avant 22 ans peut causer des dommages irréversibles. La sensibilisation et la prévention doivent donc se faire principalement en direction des jeunes.

 

44 % des jeunes de 17 ans, interrogés lors de leur Journée défense et citoyenneté (JCD) en mars 2017, déclaraient avoir bu plus de 5 verres en une seule occasion au cours des 30 derniers jours, selon l’enquête sur la santé et les consommations lors de la Journée d’appel et de préparation à la défense (ESCAPAD). C’est ce qu’on appelle le « binge‑drinking », anglicisme signifiant beuverie express ou alcoolisation ponctuelle importante. Les addictologues alertent sur le fait que ces alcoolisations massives, si elles sont cycliques, entraînent des lésions cérébrales et des atteintes aux performances cognitives, le cerveau des mineurs n’étant pas encore parvenu à maturation et étant très vulnérable à l’effet toxique de l’alcool. Ils alertent également sur les risques de développer des comorbidités psychiatriques, des troubles anxieux ou dépressifs, sans parler des problèmes somatiques inhérents à la consommation d’alcool.

 

Selon l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), « 22,9 % des adolescents disent avoir ressenti l’envie de consommer la boisson mise en valeur par la publicité ». Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la restriction de la publicité en faveur de l’alcool est une des mesures les plus « coût‑efficaces » pour réduire les risques et les dommages liés à l’alcool. Toutes les instances internationales et nationales, de la Cour de comptes aux associations de terrain, recommandent de la réguler davantage pour limiter les excès.

 

C’est tout l’enjeu de la loi Evin rédigée dans les années 90, alors que la télévision était toute puissante et que petits et grands se relayaient pour la regarder. Le texte interdit donc toute publicité en faveur de l’alcool sur le petit écran dans le but de protéger les plus jeunes. Seuls les médias destinés aux adultes sont autorisés à promouvoir les boissons alcooliques (presse écrite destinée aux adultes, certaines catégories de radio à des heures déterminées, affichage, catalogues et brochures de manière encadrée). Ainsi la publicité en faveur de l’alcool est tout simplement bannie des médias dédiés à la jeunesse. Or il s’avère que la loi Evin a été largement affaiblie ces dernières années sous la pression du lobby alcoolier et qu’elle ne répond pas aux nouveaux enjeux posés par le développement d’internet et des réseaux sociaux. Les mineurs restent ainsi largement exposés au marketing des alcooliers sur certains supports notamment au travers des réseaux sociaux et de l’affichage dans l’espace public.

 

Aujourd’hui, ce sont les réseaux sociaux qui arrivent en tête des médias consommés par les jeunes. Ces derniers passent en moyenne 47 minutes par jour devant la télévision contre 2 h 24 sur les réseaux sociaux. Pourtant, la législation française actuelle maintient les réseaux sociaux dans une sorte de bulle intouchable alors que les effets néfastes de ces applications apparues il y a maintenant 20 ans ne sont plus à démontrer (Rapport officiel : Enfants et écrans. À la recherche du temps perdu, 2024).

 

La Stratégie interministérielle de mobilisation contre les conduites addictives 2023‑2027 mentionne bien la nécessité d’encadrer strictement la publicité et la vente de produits à risque. Elle recommande explicitement de « réduire la pression publicitaire » en « envisageant de nouvelles dispositions législatives pour tenir compte des évolutions des stratégies promotionnelles (par exemple, placement de produits, recours à des influenceurs, marketing éditorial…) ».

 

Le monde change et le marketing aussi. La loi Evin a évolué et pourtant, les alcooliers et les influenceurs trouvent sans cesse des parades pour contourner les évolutions spécifiques concernant la publicité de l’alcool sur Internet.

 

C’est sur les réseaux sociaux et sur les multiples comptes d’influenceuses et d’influenceurs que 95 % des jeunes vont se divertir et chercher des réponses à leurs questionnements. Entre 2021 et 2024, l’association Addictions France a relevé 11 300 contenus promouvant l’alcool sur les réseaux sociaux. Ces publicités ont été diffusées par près de 500 influenceurs et plus de 800 marques, principalement des grands groupes de bières et de spiritueux. De fait, 79 % des 15‑21 ans voient des publicités pour de l’alcool toutes les semaines sur les réseaux sociaux, selon une étude de l’École des hautes études en santé publique.

 

Ces jeunes sont « influencés » grâce à des techniques marketing et à des algorithmes spécifiques à ces nouveaux médias. D’une part, les marques collaborent avec des influenceurs pour présenter la consommation d’alcool auprès d’une communauté engagée. D’autre part, les marques sponsorisent des publicités afin qu’elles apparaissent en masse sur les écrans des utilisateurs sans qu’ils ne l’aient demandé.

 

Sur les réseaux sociaux il s’agit la plupart du temps de publicités indirectes, déguisées. Nous ne parlons pas ici de visuels publicitaires traditionnels mais de mises en situations préparées et filmées par les créateurs de contenus. Dans le domaine du marketing d’influence, lorsqu’une marque collabore avec un influenceur, on appelle cela un « partenariat ». Ce n’est pas anodin si le terme « publicité » a été banni par ces professionnels, cela participe au détournement des mesures de la loi Evin.

 

Ces stratégies publicitaires sont dangereuses. Elles font oublier que l’alcool est un produit à risque et conduisent à un phénomène d’identification chez les jeunes qui mènent facilement au mimétisme et à l’achat du produit valorisé (boissons alcooliques, vêtements, objets décoratifs, produits de maquillage…).

 

La France comptabilise 150 000 influenceuses et influenceurs. En septembre 2023, seulement un millier d’entre eux avaient passé le certificat d’influence responsable proposé par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). Il s’agit uniquement d’une « formation en ligne de 3 heures 30 qui informe les personnes exerçant l’activité d’influence commerciale et leur donne les outils pour protéger leurs audiences et les consommateurs » et il est à noter qu’aucun suivi ni contrôle n’est réalisé après l’obtention de ce certificat.

 

De nombreux contenus valorisant la consommation d’alcool sont publiés par les influenceurs français. « En 2015, l’enquête ESPAD‑France (European school survey project on alcohol and other drugs) révélait que 54,1 % des lycéens avaient constaté de tels contenus au moins une fois par mois cette année‑là. »

 

Derrière ces pratiques, il y a les échanges commerciaux entre alcooliers et influenceurs. Kolsquare, agence spécialisée dans le marketing d’influence, a publié les tarifs des influenceurs par réseau social. Selon elle, un micro‑influenceur qui compte entre 10 000 et 100 000 abonnés obtiendrait entre 155 et 1 900 euros pour publier un post sur le réseau social Instagram. Lorsque l’influenceur comptabilise plus de 3 millions d’abonnés (followers), les tarifs s’envolent. Il toucherait au minimum 25 000 euros et cela peut aller jusqu’à plusieurs centaines de milliers d’euros.

 

Initialement, plus l’influenceur a d’abonnés plus il intéresse les marques. Désormais, ce qui compte également c’est la notion d’engagement des abonnés. Elle est matérialisée par les réactions concrètes des abonnés : les « j’aime » (likes), les commentaires, les partages, etc. Ce sont souvent de « petits » influenceurs qui sont suivis par une communauté solide et fidèle. C’est cette relation de confiance et de proximité menant à la consommation qui intéresse les annonceurs.

 

La promotion sur les réseaux sociaux concerne l’ensemble des marques d’alcool pour la promotion de leurs boissons alcooliques et non alcooliques et l’ensemble des marques proposant des variantes de boissons alcooliques sans alcool. En effet, dans de nombreux cas, les boissons sans alcool reprennent les codes graphiques des marques d’alcools connues. Sur Internet, on découvre même des sites proposant des « spiritueux sans alcool ». Cet oxymore improbable participe à troubler le message au consommateur. Santé publique France met en garde contre ces produits qui pourraient faciliter un passage à la consommation de boissons alcooliques. En effet, commencer par consommer les variantes sans alcool peut amener rapidement une entrée dans la consommation de la version alcooliques. Ces publicités pour les versions sans alcool ont donc le même potentiel incitatif à la consommation sur les jeunes. Il est donc capital d’inclure les produits sans alcool dans ce texte.

 

Cependant, le présent texte ne fait pas référence aux influenceurs spécialisés dont le métier est de faire la promotion des alcools bénéficiant d’une Appellation d’origine protégée (AOP) ou d’une Appellation d’origine contrôlée (AOC) et ne concerne pas les influenceurs publiant de l’information œnotouristique. Il faut effectivement noter qu’entre octobre 2021 et février 2023 sur les 7 000 contenus collectés par Addictions France, le champagne et le vin représentaient 1 053 contenus. Le secteur viti‑vinicole sera donc peu concerné par cette interdiction.

 

Les contenus visés par cette proposition de loi représentent tous les types de publication (post, story, réel, live, snap, vidéo), diffusés sur les plateformes identifiées comme réseaux sociaux, intégrant, marquant, taguant, montrant, évoquant même par le biais d’une figure de style une marque d’alcool ou un contenant à son effigie.

 

La question du contrôle des plateformes et des contenus se pose et est déjà problématique. Les moyens de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ne lui permettent pas de mener des contrôles efficaces et réguliers et de répondre à tous les signalements reçus. En France, plusieurs associations et organismes réalisent des signalements et fonctionnent avec peu de moyens financiers et humains comparés au volume colossal de publications réalisées chaque jour. L’association Addictions France constate que 48 % des 276 influenceurs sensibilisés continuent de promouvoir de l’alcool illégalement. Quant aux dispositifs légaux actuels, tels que la saisine des plateformes et Signal Conso, ils ne permettent pas de contrôler l’entièreté des contenus diffusés. Par exemple, les marques et les influenceurs utilisent les stories éphémères pour contourner la loi : elles représentent 70 % des publications relevées sur l’alcool en 2023. Or leur caractère éphémère empêche le contrôle et la sanction en cas de non‑respect de la loi.

 

Avec leur marketing, leurs algorithmes, leurs codes et leurs fonctionnalités spécifiques, les réseaux sociaux se révèlent être des médias complexes.

 

Le deuxième support d’exposition massif de la jeunesse au marketing des alcooliers est l’affichage dans l’espace public. Selon une étude de l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (étude OFDT ; 2018) 24 % des jeunes de 17 ans affirment être exposés au moins une fois par semaine à une affiche publicitaire pour des boissons alcooliques dans la rue.

 

L’impact de ces affichages publicitaires est considérable et ses effets sont dévastateurs sur la santé des jeunes français. À court terme, ils conditionnent fortement les achats des jeunes qui y sont exposés, un quart des adolescents dit en effet que la dernière publicité pour un alcool retenue leur a donné envie d’en boire (étude OFDT ; 2018). À plus long terme cette présence permanente de publicité pour les boissons alcooliques dans l’espace public prépare nos enfants à rentrer dans une consommation d’alcool rendue normale voire banale.

 

Les industriels de l’alcool l’ont compris, notre jeunesse, constitue le futur vivier de consommateurs. Aussi, ils n’hésitent pas à réaliser des campagnes d’affichage aux abords de nos écoles, collèges, lycées, centres de loisirs et tout autre établissement recevant des personnes mineures ou à risque.

 

Considérant que les intérêts économiques, quels qu’ils soient, ne peuvent pas être plus importants que la santé de nos jeunes, il apparaît nécessaire de compléter les mesures de protection des mineurs prévues par le code de la santé publique. C’est l’objet de cette proposition de loi qui prévoit ainsi de réduire l’exposition aux publicités de la jeunesse et des publics sensibles sur les réseaux sociaux et dans l’espace public. Elle vise également à renforcer les dispositions d’application de la loi Evin en améliorant les moyens de contrôle et en rendant les sanctions vraiment dissuasives.

 

L’article 1er propose de créer un nouvel article à la suite de l’article L. 3323‑2 du code de la santé publique portant sur l’interdiction de la publicité pour des marques d’alcool (boissons alcooliques et sans alcool dont la dénomination fait référence à une marque d’alcool) par des influenceurs non spécialisés sur les réseaux sociaux.

 

L’article 2 prévoit l’interdiction de la publicité faisant mention des boissons alcooliques et sans alcool dont la dénomination fait référence à une marque d’alcool dans un périmètre de 250 mètres aux abords des établissements d’enseignement scolaire ainsi qu’aux abords d’établissements recevant des personnes mineures ou à risque.

 

L’article 3 relève le montant de la sanction en cas de non‑respect de la loi Evin. Le montant actuel, en vigueur depuis 2002, n’est pas assez dissuasif. La sanction proposée s’apparente à celle permise par le code de la consommation en cas de pratique commerciale trompeuse.

 

L’article 4 permet, dans un souci de transparence et au même titre que les personnes ou entreprises dont l’activité est d’éditer des publications à visée commerciale sur un service de communication en ligne, de créer des mentions légales pour les personnes exerçant une activité d’influence commerciale. Ces informations permettront de faciliter le contrôle des contenus diffusés sur les réseaux sociaux et d’aboutir à des sanctions en cas de non‑respect des lois qui encadrent la publicité.

 

Pour prendre connaissance du dossier législatif