Proposition de résolution européenne sur les nouvelles techniques génomiques
La sélection des plantes cultivées est aussi ancienne que les débuts de l’agriculture. Cette sélection a pendant très longtemps été naturelle, la plante s’adaptant à son environnement au fil des années, ou consciente, lorsque c’est l’agriculteur qui décide de privilégier telles ou telles variétés au détriment d’une autre. L’avancée des connaissances et les progrès technologiques ont depuis permis l’évolution des techniques de sélection, non sans provoquer un intense débat démocratique. L’apparition des organismes génétiquement modifiés (OGM) au début des années quatre‑vingt‑dix a ainsi opposé semenciers et associations environnementales, entraînant citoyens et responsables politiques à prendre position sur cette question. Cette controverse avait débouché sur une définition européenne des OGM et sur un cadre réglementaire stricte qui définit encore actuellement l’utilisation de ces techniques.
Cette position d’équilibre, historiquement défendue par la France, est aujourd’hui profondément remise en cause par une nouvelle proposition de règlement, présentée le 5 juillet dernier par la Commission européenne, qui propose de supprimer la quasi‑totalité des règles encadrant la production et la commercialisation d’organismes génétiquement modifiés produits à partir des Nouvelles Techniques d’Édition Génomique (NTG, ou NGT en anglais).
Développées ces dernières années, ces nouvelles techniques de génie génétique sont considérées comme des OGM par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui, en 2018, a jugé que tous les produits issus des NTG devaient être, d’un point de vue législatif, assimilés à des organismes génétiquement modifiés (OGM) et donc soumis aux règles strictes les encadrants en matière de procédure d’autorisation, de traçabilité, d’étiquetage ou encore de surveillance.
Avec sa proposition, la Commission tend à accréditer l’idée que les NTG ne sont pas des OGM. Ce retour en arrière est défendu depuis des années par les géants de l’industrie agroalimentaire ([1]) au mépris du principe de précaution et du droit à l’information des consommateurs. Récemment critiquée par un avis de l’ANSES ([2]) qui remet en cause le fondement même de la proposition de la Commission, cette nouvelle réglementation inquiète de nombreux agriculteurs, distributeurs et associations de consommateurs.
Bien évidemment, notre position ne s’apparente aucunement à aller à l’encontre de la recherche scientifique. Les NTG pourraient être une opportunité d’améliorer notre souveraineté alimentaire et être complémentaires d’une transition vers un modèle agricole plus durable. Cependant, en l’état actuel, une telle dérégulation, sans garde‑fous pour les États membres, est en totale incohérence avec les objectifs d’alimentation durable, de sécurité alimentaire et d’information des consommateurs qui sont au cœur de la transition alimentaire de demain. La présente résolution vise donc à positionner l’Assemblée nationale en faveur du maintien de la réglementation OGM actuelle.
Une dérégulation des NTG en préparation
Actuellement, aucun OGM ne peut être mis sur le marché ou disséminé dans l’environnement sans une autorisation préalable, délivrée après un contrôle des risques sanitaires et environnementaux. Les règlements européens soumettent également chaque OGM commercialisé à des règles strictes de surveillance, de traçabilité et d’étiquetage. Depuis l’arrêt de la CJUE de 2018, l’ensemble des NGT sont soumis à ces règles. La proposition de la Commission européenne cherche donc à exonérer les variétés NTG de ces contraintes réglementaires. Pour ce faire, les variétés de « nouveaux OGM » seraient divisées en deux catégories :
– Les variétés NTG qui présentent plus de 20 mutations génétiques demeureraient soumises à la réglementation européenne, avec tout de même une plus faible évaluation des risques.
– Celles comportant moins de 20 mutations génétiques ne seraient plus considérées comme des OGM sous prétexte que ces mutations auraient pu apparaître « naturellement ou être produites par la sélection conventionnelle » selon le texte de la Commission.
Ces semences seraient donc exemptées d’une évaluation des risques, mais également de toute obligation de traçabilité et d’étiquetage. Au regard des critères choisis par la Commission, plus de 90 % des nouveaux OGM appartiendraient à cette catégorie et seraient donc exemptés d’évaluation des risques, sans suivi à long terme des effets sanitaires ou environnementaux de ces nouveaux produits, ni recul sur leurs conséquences.
Une analyse scientifique infondée
Le postulat aujourd’hui utilisé par la Commission est le suivant : les plantes issues des NTG sont similaires à ce que la nature pourrait produire. Cette analyse est très largement contestée, notamment par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES). Dans son avis du 21 décembre 2023, l’Agence critique les fondements mêmes qui ont amené la Commission à présenter ce texte. Le groupe de travail met en lumière un manque de clarté et une « insuffisance de justifications scientifiques de l’équivalence recherchée entre des plantes NTG respectant les critères proposés et des plantes conventionnelles. » De plus, l’ANSES rappelle que « le risque associé n’est pas directement proportionnel à un nombre de modifications quelles qu’elles soient » ce qui rejoint les nombreuses critiques énoncées ces derniers mois remettant en cause le caractère arbitraire du seuil de vingt mutations retenu. L’absence de justification scientifique inquiète d’autant plus que la mise en culture de NTG est loin d’être anodine pour la santé des consommateurs et pour l’environnement.
Des risques sanitaires et environnementaux non négligeables
L’étendue des impacts des « nouveaux OGM » sur la santé humaine est aujourd’hui très peu détaillée. Au lieu d’être supprimée, l’évaluation des risques devrait donc être un prérequis avant toute autorisation. En ne respectant pas le principe de précaution, c’est toute la confiance des citoyens envers leur alimentation qui pourrait être remise en cause en cas de problèmes sanitaires dans les prochaines années.
À ce risque sanitaire s’ajoutent des risques environnementaux qui commencent à peine à être documentés. Plusieurs chercheurs mettent ainsi en avant les potentiels « effets hors cibles » de certaines de ces technologies, c’est‑à‑dire des impacts non anticipés sur des secteurs génétiques non supposés être affectés par la modification génétique initiale. Une étude de l’Agence fédérale allemande de conservation de la nature ([3]) évoque également différents impacts potentiels des NTG qui provoqueraient la création de variétés plus invasives et plus résistantes aux pesticides, ce qui appauvrirait encore davantage la biodiversité agricole et la santé des sols. Une autre inquiétude se focalise sur la création des « super‑variétés » ultra‑résilientes issues de NGT, qui pourraient à long‑terme écraser la diversité agricole et uniformiser les paysages.
Enfin, la nouvelle réglementation pourrait déréguler complètement des plantes produisant des ARN interférents qui ont la propriété de bloquer le codage de protéines à partir de l’ADN des cellules. Cela leur confère des propriétés insecticides fatales pour de nombreuses espèces d’insectes, dont les pollinisateurs. Nous appelons donc à ce que la Commission revienne sur cet ajout de dernière minute et que ces pesticides d’un nouveau type fassent, tout comme l’ensemble des NGT, l’objet d’une évaluation environnementale avant toute dissémination dans nos champs. C’est également la position du Conseil Économique Social et Environnemental (CESE) qui recommande, dans son avis du 24 mai, « une évaluation systématique des produits NGT, à la fois a priori sur les risques sanitaires et environnementaux et a posteriori par des réseaux de biovigilance et de sociovigilance. »
Une nouvelle dépendance pour nos agriculteurs
Ce projet de règlement comporte également des risques importants pour nos agriculteurs. En l’état actuel, il permettrait à quelques multinationales des semences d’accroître leur contrôle sur le secteur agricole et in fine sur notre souveraineté alimentaire. La perspective de brevets sur les traits génétiques édités serait ainsi une catastrophe pour nos cultivateurs qui devraient faire face à un coût d’achat encore plus important, à l’heure où l’inflation alimentaire et la rémunération de nos agriculteurs sont deux priorités nationales. La question du monopole des semences par quelques multinationales pose aussi la question de la souveraineté alimentaire de notre pays. En effet, à l’heure actuelle, la grande majorité des brevets sont détenus par des grandes firmes agrochimiques et des laboratoires étrangers, bien loin des objectifs de souveraineté alimentaire que nous tentons de défendre à l’échelle nationale et européenne.
Une atteinte au droit à l’information
Pour les consommateurs aussi, ce règlement aurait des conséquences désastreuses. Il porterait une grave atteinte au droit à l’information pourtant consacré à l’article 169 du traité sur le fonctionnement de l’UE, ainsi qu’à leur liberté de choisir de ne pas consommer d’OGM. Alors que certaines études démontrent que plus de 90 % des consommateurs français souhaitent que soit indiqué l’inscription « nouveau OGM » sur leurs emballages ([4]), la proposition de la Commission, faute d’exigence en matière d’étiquetage, ne permettra plus au consommateur d’être éclairé sur ce qu’il achète. A l’heure où la confiance entre industrie agroalimentaire et consommateur est au cœur des enjeux, notamment depuis les nombreux scandales des dernières années, une telle décision va à l’encontre des attentes des citoyens français et européens.
Un véritable risque pour la filière du bio
Ce manque de transparence n’affectera pas seulement le consommateur, mais bien toute la filière du bio. Ainsi, le manque de traçabilité des semences ne permettra pas aux distributeurs et aux marques, de garantir que leur production ne contient pas d’OGM. De‑même, les agriculteurs, du fait des contaminations entre cultures, n’auront, eux non plus, plus la possibilité de garantir que leur production ne contient pas d’OGM, alors que c’est actuellement un prérequis imposé par leur cahier des charges. En effet, les organismes sexuellement compatibles peuvent se transmettre certains gènes, et notamment les gènes modifiés en laboratoire ([5]). Cette contamination, provoquée par la pollinisation, mais aussi par le vent ou les manipulations tout au long de la chaine de production, menace le développement et la confiance des consommateurs envers la filière bio en France.
Une dérégulation sans possibilité d’opt‑out national
Le 7 février 2008, le ministre de l’Ecologie, du développement durable et de l’environnement, Jean‑Louis Borloo, annonçait l’interdiction de la culture du maïs transgénique MON810 en conformité avec le droit européen de l’époque. Une telle décision sera rendue impossible par cette nouvelle proposition de règlement. La suppression des « clauses de sauvegarde », principe pour lequel la France s’était largement battue lors des négociations sur la directive qui régit depuis 2001 la culture et la commercialisation des OGM de première génération, ne permettra plus à un État de revenir en arrière. En l’état actuel de la rédaction, il serait donc impossible pour un État membre de refuser de cultiver ou d’importer des « nouveaux OGM » alors même que ces quinze dernières années, deux gouvernements français, l’un de gauche et l’autre de droite, ont pris des décisions en ce sens. Il est donc impératif que la France porte, lors des négociations futures, le retour de clause de sauvegarde, seul garde‑fou à l’échelle nationale.
Si, par la présente résolution, nous alertons sur les dangers d’une telle dérégulation, c’est également parce que l’histoire des OGM nous incite à la prudence. Comme pour les NGT aujourd’hui, les variétés d’OGM « classiques » étaient également supposées créer des plantes plus résistantes aux aléas climatiques et ainsi favoriser la souveraineté alimentaire européenne et mondiale. Trente ans après, le résultat est très éloigné des ambitions initiales. Ainsi, 99 % des OGM cultivés dans le monde en 2019 sont soit plus tolérants aux herbicides, soit produisent directement des herbicides pour résister aux insectes ravageurs, soit les deux ([6]). La culture d’OGM a donc principalement permis l’étendage d’herbicides comme le démontre l’augmentation de l’utilisation du glyphosate dans les pays ayant principalement recours aux OGM, comme les États‑Unis ou le Brésil pour la culture du soja. La raison à cela est simple, l’utilisation répétée d’herbicides comme le glyphosate a favorisé l’évolution d’espèces d’herbes invasives résistantes aux herbicides. Pour en venir à bout, les agriculteurs ont déployé deux stratégies : recourir à d’autres herbicides ou augmenter les quantités appliquées. Si l’Europe a pu en grande partie éviter de tomber dans ce piège, c’est notamment grâce à la réglementation mise en place au niveau européen dans la première décennie du XXIe siècle.
Si nous sommes bien évidemment ouverts à la perspective du progrès permis par la recherche scientifique, nous devons également rester attentifs aux conditions dans lesquelles celui‑ci est mis en œuvre. Or, en l’état actuel, ce texte n’offre aucune garantie environnementale et sanitaire. Les nombreux arguments développés dans la présente résolution démontrent que nous ne pouvons tolérer la mise sur le marché de variétés issues des technologies NGT sans une analyse complète de leurs impacts sur les cultures, la biodiversité et la santé de nos concitoyens.
Pourtant, les NTG, différents des premiers OGM transgéniques, pourraient présenter des particularités qui laissent penser qu’ils peuvent prolonger le mouvement historique de sélection variétale et d’amélioration des plantes. La condition sine qua non pour qu’un tel chemin advienne est simple. Ces technologies doivent être encadrées et leur autorisation doit être conditionnée à des effets positifs en matière de durabilité.
Alors que les négociations sont en cours au Parlement européen et au Conseil, nous plaidons, comme l’ont fait avant nous de très nombreuses ONG environnementales, associations paysannes et scientifiques, pour que le gouvernement s’oppose à la proposition de la Commission européenne et plaide au contraire pour le maintien de la réglementation actuelle, seul moyen de nous assurer que les NTG soient une source de progrès environnemental, sanitaire et sociétal.